Pluie, Vapeur, Vitesse
Peinture de William Turner (1844). 91 × 122 cm. National Gallery, Londres.
Dans cette œuvre, la locomotive du Great Western Railway, surgissant comme du néant et selon une oblique presque agressive, traverse un magma de matière indifférenciée. Au rebours de tous les usages, les éléments les plus impalpables sont traités en pleine pâte. L'or d'on ne sait quelle lumière se fond imperceptiblement dans le rose bleuté d'un ciel immense. Turner semble avoir voulu juxtaposer d'une manière hyperbolique les deux systèmes traditionnels de la perspective occidentale : la profondeur est suggérée, d'une part, par l'effet massif et vaporeux à la fois de l'atmosphère et, d'autre part, par la ligne fuyante du rail, qui s'évase étrangement dans le coin inférieur droit. Le train est presque une forme abstraite, ramassée comme une boule de matière ignée se propulsant dans l'espace.
Dans l'Histoire du romantisme (1874), Théophile Gautier donne un commentaire vibrant de ce qu'il croit pourtant n'être qu'une étude : « Éclairs palpitants, des ailes comme de grands oiseaux de feu, Babels de nuages s'écroulant sous les coups de foudre, tourbillons de pluie vaporisée par le vent : on eût dit le décor de la fin du monde. À travers tout cela se tordait, comme la bête de l'Apocalypse, la locomotive, ouvrant ses yeux de verre rouge dans les ténèbres et traînant après elle, en queue immense, ses vertèbres de wagons. C'était sans doute une pochade d'une furie enragée, brouillant le ciel et la terre d'un coup de brosse, une véritable extravagance faite par un fou de génie. »