le Miracle de l'esclave

Peinture du Tintoret (1547-1548). Galerie de l'Académie, Venise.

Des scènes de la vie de saint Marc, patron de Venise, constituent l'argument des toiles destinées à la décoration de la salle capitulaire de la Scuola Grande, commandée en 1547 au Tintoret. Le Miracle de l'esclave a déjà été traité sept ou huit ans auparavant par Sansovino. Si le Tintoret reprend l'économie générale de la scène – l'esclave au premier plan, encerclé d'une foule haineuse, saint Marc arrivant opportunément du haut du ciel –, il y apporte des audaces qui susciteront des polémiques au sein même des membres de la confrérie de saint Marc : l'ensemble, si nouveau sur les plans esthétique, scénique et spirituel, trouble au point que, devant les protestations, le Tintoret aurait rapporté la toile chez lui. Sous le regard surpris et effrayé des Turcs, les instruments des bourreaux se brisent. Seul l'esclave, condamné pour avoir confessé sa foi, voit l'intervention céleste de saint Marc. La double source d'éclairage, propre au Tintoret – lumière solaire zénithale sur le jardin, lumière oblique sur le devant de la scène –, définit fortement l'espace scénique. Violemment éclairé, le corps de l'esclave, légèrement décentré, est le point de départ d'une diagonale lumineuse passant par l'homme debout et la porte monumentale du jardin, qui constitue curieusement le point de convergence, lui aussi décentré, de la composition.

Maître du raccourci, utilisant à des fins dramatiques un luminisme assez violent, le Tintoret souligne la tension dynamique de l'ensemble en présentant saint Marc sous un angle inhabituel, avec une spontanéité qui désoriente ses contemporains : tout en louant la qualité du dessin, ceux-ci lui reprocheront une trop grande rapidité d'exécution, et resteront déroutés par la vérité du spectacle, la mobilité des lignes serpentines, le mélange diachronique des notations vestimentaires.