objet sonore
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Notion due principalement à Pierre Schaeffer, et qui désigne un phénomène sonore perçu dans le temps comme un tout, une unité, quels que soient ses causes, son sens, et le domaine auquel il appartient (musical ou non).
En un sens, la notion d'objet sonore généralise la notion de note (en tant qu'unité combinatoire) à tout l'univers sonore, en incluant les sons qui n'ont pas de hauteur définie, où dont le profil, les caractères, ne rentrent pas dans les critères habituels de la musique traditionnelle. La note de musique devient alors un cas particulier d'objet sonore.
Cette notion a été élaborée par Pierre Schaeffer à partir de ses premières expériences de musique concrète entre 1948 et 1952, et fit l'objet d'une première définition avec le concours d'Abraham Moles. Reprise et approfondie dans les années 60, elle vit sa théorie considérablement développée et étayée par un travail de recherche collectif du G. R. M. autour de Schaeffer, qui trouva son aboutissement dans l'important Traité des objets musicaux, paru en 1966. Cet ouvrage propose un « solfège des objets sonores », qui est un essai de classification de tout l'univers sonore sur la base de critères de l'écoute complètement redéfinis pour être applicables à n'importe quel phénomène audible.
Par une confusion fréquente, on a tendance à appliquer cette expression d'« objet sonore » à tout objet matériel susceptible de produire des sons ce que, dans le vocabulaire proposé par Schaeffer, on appelle plutôt « corps sonore ». Or, l'objet sonore, en tant que phénomène perceptif, doit être absolument distingué de l'idée d'une cause matérielle, anecdotique ; défini sous un angle phénoménologique, il est une perception dont le siège exclusif est la tête l'oreille et le cerveau de l'auditeur ; il n'y a pas d'objet sonore en dehors d'un sujet percevant. Musicalement, l'intérêt de la notion d'objet sonore est de suppléer à la défaillance de la notion traditionnelle de note au sens occidental pour discriminer des unités dans les musiques nouvelles, et même dans les musiques d'autres civilisations ; elle aide à en définir en termes nouveaux les matériaux et les unités structurelles.
Il est clair que les agrégats, masses, clusters, processus globaux utilisés par la musique contemporaine ne peuvent plus être réduits à de simples « paquets » de notes traditionnelles dont ils ne seraient que des extensions ; ils demandent un vocabulaire nouveau, de nouveaux critères d'analyse. L'intérêt de cette notion est donc comparable à celui de la notion de plan au cinéma, en permettant de segmenter la continuité en éléments qu'on peut analyser, combiner, etc.
Un objet sonore peut être écouté selon trois intentions différentes : ou bien, on cherche à y reconnaître la cause dont il est l'indice (« c'est un coup de frein de voiture »), ou bien, à comprendre le sens qu'il véhicule (notamment dans le cas de l'expression verbale, ou des codes sonores) ; ou enfin, faisant abstraction de ces deux niveaux, on peut s'arrêter à sa matière, sa texture auditive, sa forme : c'est l'attitude dite d'écoute réduite dont Schaeffer a également fait la théorie dans son Traité des objets musicaux, véritable bouleversement de l'écoute. Selon Schaeffer, l'objet sonore n'accède au stade d'objet musical que s'il répond à certains critères qui le rendent « convenable » à l'utilisation musicale, et s'il est employé dans un contexte, une structure susceptibles d'en faire émerger des valeurs musicales abstraites (de hauteur, de durée, mais aussi de « grain », d'« allure », c'est-à-dire de vibrato).
La notion d'objet sonore est donc, pourrait-on dire, « prémusicale », mais indispensable, selon l'auteur du Traité, pour définir lucidement la possibilité d'un nouveau langage musical. Par ailleurs, elle s'est répandue peu à peu dans les disciplines liées à l'acoustique, la psychoacoustique, la musicologie, dont elle peut renouveler la démarche. Elle représente un des rares acquis théoriques authentiques de la recherche musicale au xxe siècle.