mathématiques

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

L'idée de relier la musique aux mathématiques remonte à l'école pythagoricienne. Elle s'appuie sur une observation fondamentale attribuée à Pythagore lui-même (vie s. av. J.-C.) constatant que les consonances de base admises de son temps (octave, quinte et quarte) correspondaient aux longueurs de cordes vibrantes déterminées par les 4 premiers nombres, ou tetractys. Pythagore aurait vu dans cette correspondance une image des proportions régissant l'univers et aurait ainsi promu la musique au rang d'une véritable imago mundi, ce qui explique le rôle important tenu par elle jusqu'au xviie siècle dans la spéculation philosophique. Les pythagoriciens faisaient en conséquence de l'étude de la musique une science numérique soumettant le jugement esthétique au contrôle de la raison et du calcul, opinion contre laquelle au ive siècle av. J.-C. s'éleva avec vigueur Aristoxène de Tarente, qui prônait la suprématie du jugement de l'oreille ; les deux écoles ne cessèrent de coexister, mais le développement de l'aristotélisme, fortement teinté de pythagorisme, ne fut pas sans en favoriser les doctrines. Le De institutione musica de Boèce (ve s. apr. J.-C.), ouvrage de référence de toute la théorie musicale du Moyen Âge, est la continuation de son De arithmetica, et l'enseignement à Oxford de Robert Grosseteste (xiie s.), dont l'influence fut considérable, en plaçant les mathématiques à la tête de toutes les connaissances humaines, n'en exceptait pas la musique, qui prit place dans le Quadrivium, division supérieure des 7 arts libéraux parmi les « arts mathématiques » avec l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie. Les rapports des mathématiques avec la musique dans le pythagorisme n'ont jamais débordé le domaine de la spéculation ; ils concernaient à peu près exclusivement le calcul numérique des proportions correspondant aux intervalles, exprimé en rapports de longueurs de cordes vibrantes, mesurées sur le monocorde ou sonomètre inventé, disait-on, par Pythagore lui-même ; la légende attribuait aussi à ce dernier d'autres modes de calcul reconnus aujourd'hui faux, et qui n'en ont pas moins été enseignés jusqu'au xviie siècle, tels que le poids sur l'enclume de marteaux fréquemment représentés dans son iconographie ; Haendel dans l'Harmonieux Forgeron y fait une pittoresque allusion. Ces calculs, qu'on ne peut exposer ici, accordaient une importance spéciale à deux éléments : la superparticularité, forme de proportion exprimée par N + 1 sur N (exemple : 2/1 = octave, 3/2 = quinte, 9/8 = ton, etc.) et la médiété, ou manière de diviser l'octave, première des consonances puisque formée par les 2 premiers nombres. On reconnaissait la médiété arithmétique x = a + b 2

divisant l'octave en quarte + quinte (exemple : 12 – 9 – 6) et son inversion la médiété harmonique x = 2 ab

a + b divisant l'octave en quinte + quarte (exemple : 12 – 8 – 6) ; une troisième médiété, dite géométrique x = , divisant l'octave en deux intervalles égaux de triton, ne correspondant pas à la structure de la gamme, n'était pas prise en considération. Au xvie siècle, le principe des médiétés fut étendu à la quinte par Zarlino, qui pensa ainsi en justifier la division en tierces majeure + mineure (division harmonique, accord parfait majeur) ou mineure + majeure (division arithmétique, accord parfait mineur). Ces opérations étant loin de résoudre toutes les difficultés soulevées par une pratique qui se souciait peu de ces spéculations, Descartes en 1618 tenta de transférer la discussion sur un plan plus sensible (« Le son est au son comme la corde est à la corde »), qui permit à Rameau en 1722 d'édifier son monumental Traité de l'harmonie réduite à son principe naturel, point de départ de la théorie classique. Le traité de 1722 est exclusivement un travail de monocordiste. Rameau y affirme, dès la première page, que le principe de la musique ne peut nous être connu que par le secours des mathématiques, ce qui a fortement contribué à en implanter l'idée. Rameau, pourtant, devait changer d'opinion, ou du moins la nuancer, lorsqu'il connut les travaux du physicien Sauveur sur la nature du son et le décompte des vibrations. À partir de la Génération harmonique (1737), il déclare la recherche des éléments fondamentalaux de la musique une science « physico-mathématique » et restreint de plus en plus la part des calculs au bénéfice des expérimentations. Cette voie a été suivie depuis lors par la quasi-totalité des chercheurs en la matière.

On peut rattacher accessoirement aux mathématiques musicales l'usage de la combinatoire numérique héritée de la kabbale hébraïque, introduite en Occident par Raymond Lulle au xiiie siècle et reprise par Leibniz au xviie. Elle consiste surtout dans l'usage de nombres cachés (par exemple, le numéro des lettres dans l'alphabet signifié par le nombre des notes) pour introduire une allusion ; on en trouve de nombreux exemples chez J.-S. Bach (par exemple, B + A + C + H = 2 + 1 + 3 + 8 = 14 : le nombre 14 tient un rôle privilégié chez Bach). On a relevé chez Scriabine, ou chez Bartók, la présence de calculs fondés sur le nombre d'or pour déterminer les proportions d'architecture de l'œuvre ; enfin, avec Stockhausen, Pierre Barbaud et quelques autres, Iannis Xenakis préconise de nos jours l'emploi des mathématiques (principalement du calcul des probabilités) et de l'ordinateur pour la composition musicale elle-même, ce qui est très différent des emplois précédents, et il a fondé dans ce but un groupe de recherche universitaire dit C.E.M.A.M.U. (Centre d'études de mathématique et d'automatique musicales).