Étienne de La Boétie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain français (Sarlat 1530 – Germignan 1563).
Mort prématurément avant ses 33 ans, il doit l'essentiel de sa célébrité à Montaigne, qui publiera leur amitié et se fera le promoteur de sa reconnaissance posthume. Toutefois, La Boétie a vécu, pensé, écrit avant qu'ait lieu la rencontre légendaire. En l'absence du manuscrit original, la date de rédaction du Contr'un, dit aussi Discours de la servitude volontaire, le plus célèbre traité « républicain » (au sens antique du terme) ou encore « monarchomaque », reste incertaine : si Montaigne attribue cette entreprise à un jeune homme de 18 ans – et même de 16 dans une correction portée sur l'Exemplaire de Bordeaux –, on hésite encore à faire de cet ouvrage une réaction aux événements de 1548 (l'impitoyable répression par Montmorency de la révolte de la gabelle qui avait éclaté à Bordeaux), ou un traité écrit lors de ses études de droit en 1552-1553 à Orléans – important foyer protestant – sous l'influence d'Anne Du Bourg, ou même – hypothèse moins vraisemblable – en 1561, lors de son exercice parlementaire et à la faveur d'une baisse de pouvoir de la monarchie. Le Contr'un, partant d'un étonnement face à l'asservissement volontaire du peuple à un tyran – aliénation d'une liberté fondée en droit de nature –, dénonce tout régime politique qui contesterait cette liberté et appelle à la désobéissance civile. Toute l'ambiguïté du traité repose sur l'extension de la conception du « tyran » : le roi ne semble pas en être exclu, même si La Boétie s'en prend avant tout aux « mauvais princes ». L'annexion du texte par les monarchomaques est rendue possible par cette indécision, ou plutôt par la généralité du propos de La Boétie dont l'objet est peut-être plus philosophique que circonstanciel.
La Boétie écrivit aussi des poèmes que Montaigne juge des plus réussis : l'érotisme, dit-il, n'y souffre pas encore de « je ne sais quelle froideur maritale » – c'est en 1555 que leur auteur devait se marier. Sans doute remontent-ils au séjour orléanais de l'auteur. La plupart sont des sonnets et témoignent d'une prédilection pour une veine pétrarquiste que la Pléiade avait mise à la mode (La Boétie a été l'ami de J.-A. de Baïf, qui lui adresse un sonnet en 1555 et devait, lors d'un séjour à Paris, en 1560, rencontrer Dorat et peut-être Ronsard).
Pour ce qui est du Mémoire sur la pacification des troubles (1561), son attribution à La Boétie est aujourd'hui fortement contestée, même si c'est l'œuvre d'un magistrat du sud-ouest de la France, fort attaché à la liberté de conscience.
Quoi qu'il en soit, l'amitié qui lie La Boétie à l'auteur des Essais est primordiale pour notre accès à son œuvre : Montaigne, son cadet de trois ans, le rencontre donc en 1557 quand il entre au parlement de Bordeaux, où il devient son collègue. Leur amitié s'étendra sur six ans : l'auteur des Essais la déplorera près de trente. Tout commence avec la mort ; le premier écrit connu de Montaigne consiste en une lettre où il retrace à l'intention de son père les derniers moments de son ami. Cette lettre figure, sept ans après l'événement, en tête du premier volume des écrits de La Boétie que Montaigne publie en 1570 (il rassemble des traductions d'opuscules de Xénophon et de Plutarque avec des vers latins). Un second volume, des vers français, paraît en 1571. C'est l'année où Montaigne prend sa retraite. On sait que le projet initial des Essais se proposait de défendre et d'illustrer le Contr'un, « essai (...) à l'honneur de la liberté contre les tyrans » : le chapitre « De l'amitié », en réfléchissant aux liens qui unissent les hommes entre eux, devait servir de préambule à ce discours, placé au centre exact, « plus bel endroit et milieu » du premier livre des Essais dès lors destiné à encadrer cette très précieuse peinture de la vie sociale et politique. Des considérations politiques conduiront Montaigne à y renoncer : le texte, après avoir circulé manuscrit pendant vingt-cinq ans dans le milieu de la magistrature gallicane, avait fini par être détourné par le parti protestant, certainement grâce à l'ouverture de la bibliothèque de Henri de Mesmes qui comportait un manuscrit de l'œuvre (en 1574, dans le Réveille-matin des Français ; en 1576, dans les Mémoires des états de France sous Charles IX). Il le remplacera donc par 29 sonnets pétrarquisants qui, lorsque les Essais paraîtront en 1580, deviendront le chapitre central du premier Livre, avant d'être supprimés après 1588. On a pu remarquer pourtant qu'une hantise identique se trouvait au centre de ces deux textes ; mais aussi que l'attitude de l'auteur à son endroit changeait du tout au tout quand il quitte le pamphlet pour la poésie amoureuse. Le Contr'un, dirait-on, est devenu le « Pour une » : « C'est fait, mon cœur, quittons la liberté » (III) ; « Sans cesse, nuit et jour, à la servir je pense » (XXIII). Ces sonnets composent, en effet, un éloge de la servitude amoureuse volontaire.