Indiens d'Amérique du Nord

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Rarement mentionnée dans les chroniques des missionnaires, la littérature des Indiens d'Amérique du Nord n'a été sérieusement recueillie et étudiée que depuis le début du xxe s. C'est à l'heure où les Indiens réduits à quelques centaines de milliers sont parqués dans des réserves qu'elle est enfin reconnue comme une littérature à part entière et, surtout, comme un témoignage (ou faut-il dire testament ?) infiniment précieux de la richesse individuelle et collective qui fut celle des « Peaux-Rouges ». Il s'agit exclusivement de littératures fondées sur la tradition orale qu'accompagnaient parfois des supports mnémoniques presque toujours pictographiques. Ces littératures, composées de mythes, de contes, de prières, de chants, d'invocations et de harangues coupées de fragments chantés, sont récitées presque toujours dans un but magique, religieux, social ou moral. Les textes sacrés sont l'apanage de grands personnages, chamans ou chefs politiques qui, alliant leur talent personnel de narrateur au respect jaloux de la tradition et à la connaissance magique de chaque mot, conservent au récit son immuabilité. Certains mythes sont censés dégager une vertu magique lors de leur récitation, par la réactualisation d'une situation située dans un passé immémorial. D'autres, situés dans un passé moins lointain, n'entraînent pas de résultats magiques directs, mais ont une valeur d'enseignement moral. Le mythe dit « d'Orphée », commun à beaucoup d'ethnies, en est l'exemple le plus célèbre. Un veuf inconsolable part à la recherche de sa femme et obtient la permission de la ramener sur terre sous certaines conditions : ne pas ouvrir trop tôt la besace qui contient l'âme de la défunte, ne pas la heurter ou encore ne s'endormir sous aucun prétexte, mais les interdits sont transgressés, la femme meurt définitivement et l'époux est transformé en bûche ou subit une autre métamorphose. Chaque tribu possède des mythes de création contant l'origine du monde et des hommes, héros culturels ou ancêtres civilisateurs. Le premier monde, selon bien des versions, était peuplé de géants et fut détruit par un cataclysme ; seuls quelques animaux, sauvés grâce à leur astuce et dotés de caractères semi-humains, jouèrent le rôle d'ancêtres civilisateurs en réorganisant l'univers ravagé, en créant les hommes, en leur apprenant à chasser, à pêcher, à se vêtir et en leur enseignant le rituel nécessaire pour entrer en communication avec les esprits. Divers mythes racontent comment les ancêtres animaux s'ingénièrent à dérober le feu nécessaire à la vie. Pour les Creeks (Géorgie, Alabama), tous les animaux tinrent conseil et se mirent d'accord pour que le Lapin essaie d'obtenir du feu pour tout le monde : « Le Lapin traversa la Grande Eau qui menait au pays de l'Est [...]. Là, on organisa une grande fête en son honneur et on alluma un grand feu. Les danseurs se prosternaient devant le feu et le Lapin en fit autant à tel point que les bâtons de résine de sa coiffure s'enflammèrent et que sa tête devint un buisson ardent. Il s'enfuit, des flammes sortant de sa coiffure, et retourna chez son peuple. » Ces différents héros culturels, loin d'être des bienfaiteurs modèles, sont souvent égoïstes et cupides, à la fois créateurs et destructeurs, livrés à leurs passions et à leurs convoitises : le mythe du « décepteur » (le trickster ), commun à beaucoup de mythologies amérindiennes, donne une dimension profondément humaine à ces personnages. Les chamans, qui entretiennent des relations privilégiées avec les esprits, possèdent tout un répertoire de chants, de prières et d'invocations à des fins bénéfiques ou thérapeutiques qui leur ont été révélés pendant leurs rêves et leurs transes. Des ethnologues tels que Lévi-Strauss ont montré comment cette littérature « engagée » dans les problèmes posés par la vie matérielle et sociale témoigne de la richesse et de la subtilité de la « pensée sauvage ».