Gautier d'Arras

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Poète français (xiie s.).

Contemporain et rival de Chrétien de Troyes, écrivant pour les cours de Baudoin de Hainaut, de Thibaut V de Blois, de Marie de Champagne et de Béatrice de Bourgogne, femme de Frédéric Barberousse, il a composé entre 1176 et 1184 deux romans en vers qui, rompant avec le modèle romanesque arthurien, s'ouvrent vers l'Est – Rome, Byzance –, tout en questionnant l'évolution psychologique des personnages. Éracle (du nom de Héraclius, premier empereur chrétien de Constantinople) combine le modèle hagiographique de la naissance miraculeuse du futur héros, le motif folklorique des trois dons permettant au jeune homme de savoir la vérité sur les pierres, les chevaux et les femmes et d'assurer ainsi son ascension sociale (il devient dans un premier temps le conseiller de l'empereur de Rome et finira empereur de Byzance), ainsi qu'une histoire d'adultère mettant en cause l'impératrice et illustrant la vanité de la jalousie conjugale. L'entrelacement de ces thèmes n'est pas totalement réussi. Mais peut-être Gautier a-t-il voulu consciemment ouvrir la fiction romanesque à la diversité des espaces en contact, à la diversité des cultures (la victoire d'Héraclius, l'empereur chrétien de Rome, contre l'empereur de Perse Crosoès) tout en approfondissant et en moralisant un problème de casuistique courtoise : trop jaloux, l'empereur de Rome est ici le responsable de l'infidélité de son épouse, comme le lui démontre Éracle.

Tout aussi novateur, Ille et Galeron élargit au format d'un roman le lai d'Eliduc de Marie de France, fondé sur le motif de l'homme partagé entre l'amour de deux femmes. Gautier étoffe la trame du lai en décrivant longuement les batailles que livre Ille, pour la défense de Rome, par exemple. Plus intéressantes sont pour le lecteur moderne les analyses fouillées dans lesquelles se complaît un héros qui, devenu borgne, se persuade que son épouse, Galeron, ne peut plus l'aimer ; rassuré un temps par l'amour que lui porte la fille de l'empereur, Ganor, il finit par retrouver sa confiance en lui et sa juste place dans le monde (empereur de Rome) grâce à l'amour et à l'effacement volontaire de sa première épouse.