Fleur en Fiole d'Or

(Jin Ping Mei)

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

C'est le dernier-né des quatre romans-fleuves connus en Chine sous l'appellation de Quatre Livres extraordinaires (Si da qishu). Sa première édition date du tout début du xviie siècle. Bien qu'il emprunte une part de sa matière à Au bord de l'eau (Shuihu zhuan) – en fait, un épisode secondaire narré dans les chapitres 23 à 27 –, à certains récits (conte et roman) en langue vulgaire, c'est la première œuvre romanesque d'ampleur (100 chapitres) à sortir, pour l'essentiel, du pinceau d'un seul auteur. Que celui-ci soit un écrivain de renom tel que Tang Xianzu (1550-1616) ou un lettré obscur, peu importe. Il fut aussi habile à tisser une trame romanesque aux nombreuses ramifications qu'à la soutenir sur la longueur par maints récits mineurs et descriptions foisonnantes. L'ensemble est porté par une maîtrise singulière de la langue vulgaire. Conscient de sa responsabilité de narrateur, l'auteur réussit à varier les registres, sans s'interdire le recours à un érotisme parfois torride qui condamna le roman à être mis à l'index. Qu'à l'instar de son préfacier, on le considère comme « obscène pour la bonne cause » ou « aucunement licencieux », comme son plus fervent commentateur et partisan Zhang Zhupo qui l'éditera dans une version allégée de bon nombre de ses poèmes en 1695, le Jin Ping Mei est un livre véritablement extraordinaire. Il narre l'ascension puis le déclin d'un marchand nommé Ximen Qing, avide de richesses, d'honneurs, tout autant que de conquêtes féminines. S'étant acheté une charge qu'il peine à remplir, il réunit autour de lui cinq concubines dont Pan Jinlian (Lotus d'or), qui ne le rejoint qu'après avoir dûment empoisonné son mari, et Li Ping'er (Fiole), qui lui donnera un fils. Grand consommateur d'aphrodisiaques – penchant qui le perdra –, il prend, de force s'il le faut, son plaisir avec plus d'une dizaine d'autres femmes, jeunes et moins jeunes, parmi lesquelles Pan Chunmei (Fleur-de-Prunier), la très jolie servante de Lotus d'or. Mais tout cela n'est que la toile de fond d'une peinture au vitriol de la société à une époque minée par la corruption du milieu mandarinal. Le roman, toujours interdit en Chine, reçut plusieurs suites dont celle de Ding Yaokang (1599-1669) vers 1660 (Xu Jin Ping Mei) ; Cao Xueqin (1715 ?-1763) s'en inspira tout en s'en démarquant dans le Honglou meng.