le Voyage des comédiens

O Thiassos

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Film politique de Theo Angelopoulos, avec Eva Kotamanodou (Électre), Aliki Georgouli (la mère), Stratos Pachi (le père), Mara Vassiliou (Chrysothemis), Petros Zarkadis (Oreste), Vangelis Kazan (Egisthe).

  • Scénario : Theo Angelopoulos
  • Photographie : Ghiorgos Arvanitis
  • Décor : Mikis Karapiperis, Ghiorgos Patsas
  • Musique : Lukianos Kilaidonis
  • Montage : Takis Davlopoulos
  • Production : Ghiorgos Papalios
  • Pays : Grèce
  • Date de sortie : 1975
  • Son : couleurs
  • Durée : 3 h 50

Résumé

Au début du film, à l'automne 1952, neuf hommes et femmes arrivent dans une petite gare du Péloponnèse. Près de quatre heures de projection plus tard, et treize ans plus tôt, les comédiens, plus jeunes et plus nombreux, apparaissent tout aussi fatigués, dans la même gare. Entre ce point d'arrivée et ce point de départ, le film s'articule sur trois plans : la représentation fragmentaire et sans cesse interrompue d'un drame pastoral, la vie d'une troupe de comédiens dont les aventures individuelles et collectives recoupent le mythe des Atrides et enfin l'histoire de la Grèce, de la dictature de Métaxas à l'arrivée au pouvoir du maréchal Papagos, en passant par l'occupation nazie et la guerre civile.

Commentaire

La primauté du spectacle

Le Voyage des comédiens est à la fois une des œuvres marquantes du cinéma des années 1970, le film qui a définitivement établi Theo Angelopoulos comme l'un des grands réalisateurs de son temps, et une fresque épique exemplaire, aboutissement des recherches esthétiques jointes à une interrogation politique qui ont caractérisé toute une tendance du cinéma contemporain éprise de modernité.

Angelopoulos n'a pas caché ses admirations de cinéphile – Antonioni, Jancsó, Oshima – et son style – mise en scène frontale, utilisation systématique du plan-séquence, espace off – en témoigne, mais l'œuvre n'en est pas moins unique dans sa volonté totalisante qui mêle le passé et le présent, l'imaginaire et le réel, le fantasme et le politique. La caméra glisse d'un registre à un autre, réalise sans solution de continuité l'unité entre diverses périodes. La mise en scène relève de l'ordre du rituel et, comme dans plusieurs œuvres essentielles du cinéma moderne, se veut questionnement de l'impression de réalité et interrogation sur la notion même de spectacle. Chez Angelopoulos, en effet, tout est représentation, même les actes sexuels – (l'inconscient jouera un rôle accru dans le film suivant, les Chasseurs) – strip-tease d'un phalangiste face à Électre, masturbation d'un collaborateur, viol d'une femme qui relient la psychanalyse au politique. Les défilés militaires comme les manifestations participent de cet ordre du théâtral et il n'est pas jusqu'à une scène collective sur une plage qui ne relève du spectacle, en l'occurrence la comédie musicale dont Angelopoulos est un grand amateur.

Mais, dans un même mouvement, son film est profondément concret. Grâce au travail exceptionnel de son chef-opérateur, Ghiorgos Arvanitis, il nous fait sentir le passage des saisons, jouant sur une gamme de tons sourds – de l'ocre au gris – pour mieux chanter la présence des pierres et des murs, des ciels lourds et des chemins rocailleux. Film complexe, le Voyage des comédiens établit un équilibre rare entre le formalisme et la réalité, entre le foisonnement de ses signes et la rigueur de son architecture.