la Sorcellerie à travers les âges

Häxen

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Document-fiction de Benjamin Christensen, avec Clara Wieth-Pontoppidan, Astrid Holm, Karen Winther, Benjamin Christensen, Oscar Stribolt (le gros moine), Clara Pontoppidan, Alice O'Fredericks (la possédée), Benjamin Christensen (le Diable et le médecin à la mode).

  • Scénario : Benjamin Christensen
  • Photographie : Johan Ankerstjerne
  • Décor : Richard Louw
  • Montage : E. Hansen
  • Production : Svensk Filmindustri
  • Pays : Suède
  • Date de sortie : 1921
  • Son : noir et blanc
  • Durée : 1 800 m

Résumé

À de nombreux documents sur la sorcellerie à travers les âges et sa représentation dans l'art, ce film-essai mêle plusieurs scènes fictives illustrant principalement la pratique médiévale de la sorcellerie et la persécution dont elle fit l'objet de la part de l'Église.

Commentaire

Le pamphlet anachronique

François Truffaut, avec une insistance médiocrement convaincante, qualifiait la Marseillaise de Renoir de montage d'actualités ou d'archives filmées sur la Révolution française. Longtemps avant Renoir, quarante ans avant Rossellini, le genre du documentaire pastiche, avec ses reconstitutions aussi fictives qu'« authentiques », avait été illustré, de magistrale façon, par la Sorcellerie à travers les âges : ce film (suédois) du Danois Christensen ne se présente-t-il pas comme une enquête documentaire sur l'idéologie du xve siècle ? Des grands cinéastes du réel, Christensen a, tout à la fois, l'apparente candeur, l'esprit militant, la capacité de relier le passé au présent, le sens aigu des stratégies filmiques. Engagé, Christensen ne craint pas de surgir dans son propre film sous la forme d'un diable qui matérialise à point nommé le désir érotique d'une jeune femme frustrée. La Sorcellerie constitue un pamphlet cohérent contre toutes les formes de totalitarisme, parce qu'elle analyse avec précision les techniques de l'Inquisition médiévale (culpabilité par association, preuve de l'innocence incombant à l'accusé) et parce qu'elle montre que « la superstition existe toujours » à l'époque contemporaine. La perspicacité de l'anachronisme témoigne aussi d'un sens subtil du cinéma : si la conclusion « moderne » n'explique pas à proprement parler les manifestations irrationnelles qui la précèdent, elle les authentifie, et confère au Diable de jadis la même réalité en somme qu'à l'actrice de naguère. Il est regrettable que de médiocres copies commerciales de la Sorcellerie puissent laisser supposer qu'il ne s'agit que d'une curiosité érotique ou tératologique, et surtout ne rendent pas justice à ses qualités plastiques. Une belle copie teintée met en lumière la convergence entre les images de Johan Ankerstjerne et les gravures d'inspiration fantastique avec lesquelles Christensen invite au rapprochement : le sabbat des Caprices de Goya, naturellement, mais aussi les fourmillantes compositions de Rodolphe Bresdin. « Œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique », selon le mot de Walter Benjamin, le cinéma confirme ici sa parenté formelle, mais aussi fonctionnelle, voire propagandiste, avec la gravure.