l'Opéra de quat'sous

Die Dreigroschenoper

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des films ».

Comédie de Georg Wilhelm Pabst, avec Rudolf Forster (Mackie), Carola Neher (Polly Peachum), Fritz Rasp (Peachum), Valeska Gert (Mme Peachum), Lotte Lenya (Jenny), Ernst Busch (le bonimenteur).

  • Scénario : Leo Larna, Ladislao Vajda, Béla Balasz, d'après la pièce de John Gay l'Opéra des gueux et l'opéra de Bertolt Brecht et Kurt Weill
  • Photographie : Fritz Arno Wagner
  • Décor : Andrei Andreiev
  • Musique : Kurt Weill
  • Montage : Henri Rust
  • Production : Seymour Nebenzahl (Warner Bros-First National, Tobis, Nero Films)
  • Pays : Allemagne
  • Date de sortie : 1931
  • Son : noir et blanc
  • Durée : 1 h 51

Résumé

Dans les rues londoniennes de 1900, un bonimenteur raconte l'histoire de Mackie, le roi des bandits de la ville. Celui-ci séduit et épouse Polly Peachum, la fille du roi des mendiants. Furieux, le père de la mariée lance ses hordes de miséreux et de traîne-savates dans les rues de la capitale en liesse à l'occasion du couronnement de la reine. Arrêté puis condamné à mort, Mackie réussit à s'évader avec la complicité des forces de l'ordre. Il s'associe finalement avec son beau-père dans une entreprise très lucrative.

Commentaire

La symphonie des gueux

Comme il était de coutume dans les années 1930, l'Opéra de quat'sous a fait simultanément l'objet d'une version française, dans laquelle les rôles principaux étaient tenus par Albert Préjean, Florelle et Gaston Modot. Bien que désavoué par Brecht dont l'œuvre a été tirée du côté de la féerie, ce film flamboyant est une parabole sur la société et ses exclus. L'idéalisme n'est féroce qu'en filigrane de ce pamphlet humaniste et Pabst oriente le sujet vers la fresque, annonçant par là la Kermesse héroïque de Jacques Feyder. Loin de la mièvrerie qui affectait certaines comédies musicales allemandes de l'époque, l'Opéra de quat'sous est également un saisissant portrait en coupe d'un pays où le fossé des inégalités sociales a été creusé par une crise économique terrible. L'avènement de la reine d'Angleterre n'est ici qu'une allusion déguisée à l'arrivée d'Hitler au pouvoir. En contrepoint de l'action, la musique de Kurt Weill apporte une nouvelle dimension à un propos qui sait se parer de séduisants atours en s'attachant à des problèmes graves et universels. Esthétiquement, le film intègre à merveille l'humour anglais des dialogues avec des images encore fortement marquées par l'expressionnisme allemand. L'atmosphère populiste naît quant à elle de l'interprétation, tendance que la distribution française infléchit plus encore. On retrouve parfois dans ce climat bon enfant et ce décor d'opérette un ton qui n'est pas sans évoquer le Million de René Clair. Habitué à noircir les tableaux qu'il peint, Pabst n'échappe pas ici à sa nature et flirte souvent avec le naturalisme, même si celui-ci se tient aussi éloigné que possible du misérabilisme tentateur. Ainsi que le montre avec insistance la mise en scène, les personnages de l'Opéra de quat'sous sont, au-delà des apparences, des archétypes sublimés. Le dénouement optimiste – l'union sacrée de Mackie et Peachum – n'est qu'un stratagème visant à opposer au pouvoir un contrepoids émanant du peuple, même si l'histoire prouve qu'il n'y a pas forcément antagonisme entre les deux.