trou noir
Région de l'espace dotée d'un champ gravitationnel si intense qu'aucun rayonnement n'en peut sortir.
ASTRONOMIE
Inscrite dans le schéma newtonien de la gravitation, théorisée dès le xviiie s., l'existence de corps invisibles capables d'emprisonner la lumière, relancée par la relativité einsteinienne, constitue depuis les années 1970 l'un des objets majeurs de la recherche en astrophysique.
Historique d'un concept
La notion de trou noir a été entrevue dès la fin du xviiie s. par les astronomes John Michell et Pierre Simon de Laplace. Ils calculèrent, en effet, qu'en raison de son attraction gravitationnelle un astre suffisamment massif ne laisserait même pas échapper la lumière.
Le trou noir newtonien
La théorie newtonienne de la gravitation établit qu'un projectile quelconque ne peut quitter la surface d'un astre de masse M et de rayon R que si sa vitesse initiale est supérieure à une certaine valeur critique, appelée vitesse de libération, donnée par la formule :
G étant la constante universelle de la gravitation, qui vaut :
6,67·10−11 m3 kg−1 s−2.
La vitesse de libération est d'autant plus grande que l'astre est compact, c'est-à-dire massif et dense. Elle est de 11 km/s pour la Terre et de 620 km/s pour le Soleil. Si la lumière est composée de corpuscules, se déplaçant à la vitesse c = 300 000 km/s et soumis aux lois de l'attraction universelle, un astre dont le rayon serait plus petit que la valeur Rs = 2 GM/c2 aurait une vitesse de libération plus grande que c. En conséquence, il ne laisserait pas s'échapper les rayons lumineux. Tel fut le raisonnement prémonitoire tenu par Michell et Laplace.
Le rayon critique 2 GM/c2 est aujourd'hui appelé rayon de Schwarzschild. Numériquement, il est égal à 3 km pour un astre de la masse du Soleil (alors que son rayon réel est de 700 000 km), à 1 cm seulement pour un corps de la masse de la Terre. Ces chiffres signifient qu'un trou noir correspond à une extraordinaire concentration.
Mais, contrairement à une idée reçue, un trou noir n'est pas forcément « dense ». Par exemple, les caractéristiques de l'astre invisible calculé par Laplace et Michell – qui ignoraient tout des états dégénérés de la matière à haute densité, découverts au xxe s. – étaient les suivantes : une masse de 107 M0 (M0 désigne la masse du Soleil), un rayon de 150 millions de kilomètres et une densité moyenne d'à peine quelques grammes par centimètre cube.
Le trou noir relativiste selon Einstein
Les spéculations de Laplace et Michell furent rapidement oubliées : d'une part, aucune observation astronomique ne pouvait révéler ces corps, par définition invisibles ; d'autre part, la théorie ondulatoire de la lumière qui se développa tout au long du xixe s. ne prévoyait nulle influence de la gravitation sur la lumière. Or, en 1915, la théorie de la relativité générale élaborée par Albert Einstein établit que toute forme d'énergie gravite.
Les spéculations sur l'existence d'astres capables d'emprisonner la lumière pouvaient dès lors reprendre. C'est à la fin des années 1930 que fut effectué le premier calcul relativiste d'équilibre d'un astre froid (c'est-à-dire soumis à sa seule gravité) : il démontra qu'au-dessus d'une certaine masse critique, l'astre devait s'effondrer en dessous de son rayon de Schwarzschild et, dès lors, se coupait de toute communication avec le monde extérieur (Robert Oppenheimer et H. Snyder, 1939). Le trou noir relativiste était né. Mais il resta pure spéculation théorique pendant encore trente ans… jusqu'à ce que l'observation astronomique mît enfin en évidence un certain nombre de phénomènes célestes, tels les quasars et les sources X binaires, dont l'interprétation exigeait l'existence réelle de ces astres massifs imperméables à la lumière.
Le terme même de trou noir fut introduit en 1968 par le physicien américain John Wheeler. Aujourd'hui ce terme est devenu aussi populaire que le mot big-bang (qui fait référence non pas à l'engloutissement, mais à la genèse de toute matière).
Le trou noir apparaît désormais comme une conséquence inéluctable du caractère attractif et auto-accéléré de la gravitation, indépendamment des détails de telle ou telle théorie. On peut donc retenir cette définition générale : un trou noir est un corps condensé dont le champ gravitationnel est si intense qu'il empêche toute matière et tout rayonnement de s'échapper.
Comment fonctionnent les trous noirs ?
La relativité générale est une théorie de la gravitation dans laquelle le concept de force de gravité est remplacé par celui de géométrie courbe de l'espace-temps.
L'Univers est représenté par une structure élastique à quatre dimensions (trois d'espace, une de temps), dont la courbure est dictée par la distribution de matière. Les trajectoires des particules et des rayons lumineux, soumis à la gravitation, sont astreintes à épouser les contours de l'espace-temps.
Les équations d'Einstein relient la géométrie de l'espace-temps, spécifiée par diverses composantes de la courbure, à son contenu matériel, spécifié par la densité de matière et d'énergie. Pour trouver des solutions correspondant au champ gravitationnel engendré par un trou noir, il faut supposer d'une part que la géométrie est soit à symétrie sphérique, soit à symétrie axiale (si le trou noir est en rotation), d'autre part que toute la masse est confinée au centre, le vide régnant tout autour.
Dès 1916, l'astrophysicien allemand Karl Schwarzschild découvrit la solution à symétrie sphérique. Celle-ci est d'une grande portée ; en effet, ne dépendant que d'un seul paramètre – la masse centrale –, elle décrit aussi bien la géométrie de l'espace-temps autour d'une étoile sphérique ordinaire (par exemple le système solaire) que celle qui règne autour d'un trou noir. En particulier, le rayon critique en dessous duquel un astre se transforme en trou noir a la même expression que dans la théorie newtonienne.
Le trou noir sphérique
On ne peut décrire correctement la solution trouvée par Schwarzschild qu'à l'aide de diagrammes compliqués, mais, ce qu'il faut retenir, c'est qu'à mesure qu'une étoile sphérique se contracte son champ gravitationnel augmente, comme si un puits de plus en plus profond se creusait dans la structure élastique de l'espace-temps. En conséquence, les rayons lumineux émis par l'étoile, astreints à épouser les parois du puits, ont de plus en plus de mal à s'échapper. Lorsque l'étoile atteint le rayon critique de Schwarzschild, le puits est devenu si profond que toute la lumière reste emprisonnée.
En fait, toutes les directions de propagation de la lumière sont focalisées par la courbure de l'espace-temps. Comme la vitesse de la lumière est la limite supérieure de toute vitesse physiquement possible, les particules matérielles de l'étoile sont, elles aussi, entraînées irrésistiblement vers le centre. Autrement dit, l'effondrement de l'étoile se poursuit sans obstacle, jusqu'à ce que matière, lumière et géométrie soient indéfiniment écrasées au centre ! Tel est le fascinant paradoxe du trou noir.
La surface du trou noir
La surface du trou noir, dont le rayon est donné par la formule de Schwarzschild, est appelée horizon des événements. En effet, il s'agit d'une frontière de l'espace-temps au-delà de laquelle un observateur extérieur au trou noir ne peut rien apercevoir. Elle joue le rôle d'une membrane à sens unique qui divise l'Univers en deux domaines ; matière et lumière peuvent passer du domaine extérieur au domaine intérieur, mais non l'inverse. Ainsi, un astronaute pourrait explorer l'intérieur d'un trou noir en participant à l'effondrement de la matière et de la géométrie, mais il ne pourrait plus en ressortir pour relater ses découvertes.
Il est important de noter que l'horizon des événements est une surface purement géométrique, sans consistance matérielle, au contraire des surfaces des autres étoiles, gazeuses ou solides.
L'espace-temps
La courbure de l'espace-temps au voisinage d'un trou noir est notamment responsable d'une spectaculaire distorsion temporelle : pour un observateur lointain, la contraction de l'étoile en effondrement semblerait ralentir indéfiniment à mesure qu'elle se rapprocherait du rayon critique, de sorte que la formation du trou noir proprement dit ne pourrait jamais être vue. Ce gel du temps apparent s'accompagnerait d'un étirement infini des longueurs d'onde reçues (appelé effet Einstein) et d'un affaiblissement exponentiel de la luminosité.
Mais la véritable histoire de l'effondrement serait celle que vivrait un observateur lié à l'effondrement, par exemple à la surface de l'étoile. Pour lui, la contraction outrepasserait le rayon critique et s'achèverait brusquement au centre du trou noir, en une singularité de l'espace-temps, où la courbure (c'est-à-dire les forces de marée gravitationnelle) et la densité d'énergie deviendraient infinies.
Le trou noir nu
Toutes les étoiles sont en rotation et, à ce titre, ne sont pas exactement sphériques. Dans ce cas, la question de savoir si l'issue finale de l'effondrement gravitationnel est encore une singularité entourée d'un horizon des événements n'est pas résolue en relativité générale.
La censure cosmique
Il existe une conjecture, dite de censure cosmique, qui stipule que les singularités nues (c'est-à-dire non cachées par un horizon des événements) ne peuvent pas se former dans la nature. Cette hypothèse est vérifiée dans des situations légèrement non sphériques, mais dans les cas très asymétriques le doute demeure, ce qui pose quelques problèmes à la théorie. En effet, en l'absence d'horizon, la formation d'une singularité s'accompagnerait d'une émission d'énergie infinie.
Si l'hypothèse de censure cosmique est correcte, après une phase dynamique transitoire marquée par l'émission de rayonnement électromagnétique et gravitationnel, la géométrie de l'espace-temps à l'extérieur d'un astre en effondrement doit atteindre une configuration stationnaire autour d'un horizon des événements à symétrie axiale, toutes les irrégularités étant dissipées par le rayonnement. La solution de trou noir correspondante a été découverte par R. Kerr en 1963.
Un trou noir peut également posséder une charge électrique. Un théorème important de la relativité générale dit que le trou noir isolé le plus général est entièrement spécifié par trois paramètres : sa masse M, son moment angulaire J et sa charge électrique Q. En conséquence, il n'existe qu'un nombre très réduit de types différents de trous noirs.
Les divers types de trous noirs
Selon que l'on prend en compte telle ou telle combinaison de ces paramètres (la masse doit toujours être présente), on a plusieurs types de trous noirs. En d'autres termes, un trou noir est pratiquement dépourvu d'attributs ; deux trous noirs ayant mêmes M, J, Q, mais constitués l'un de sucre et l'autre d'eau, seraient totalement identiques. La formation d'un trou noir est le processus le plus irréversible qu'il soit possible d'imaginer, dans la mesure où il engloutit des milliards d'informations : le trou noir est un gigantesque réservoir d'entropie.
Le trou noir machine
Le trou noir n'est pas un corps passif qui déforme l'espace-temps sans rien qui puisse l'affecter lui-même. C'est un objet dynamique, capable de subir ou d'exercer des forces, d'absorber ou de fournir de l'énergie, de se transformer au cours du temps. En particulier, un trou noir en rotation dispose d'une énergie rotationnelle qui peut théoriquement être extraite ; on peut calculer des processus au cours desquels un projectile, à la trajectoire bien déterminée, se disloque au voisinage du trou noir de telle sorte qu'un fragment soit capturé mais que l'autre revienne à l'envoyeur avec une énergie plus grande, le gain provenant de l'énergie rotationnelle du trou noir.
Les lois d'évolution des trous noirs
Les lois qui régissent l'évolution des trous noirs en interaction avec de la matière ou du rayonnement extérieurs ont été découvertes. Il est connu que l'entropie S et la température T d'un système physique jouent un rôle fondamental en thermodynamique usuelle. En ce qui concerne les trous noirs, deux grandeurs dynamiques jouent un rôle similaire : l'aire du trou noir A, qui n'est autre que l'aire de son horizon, et sa gravité de surface g, qui mesure l'accélération de la pesanteur à l'horizon. L'analogie entre les quatre lois de la thermodynamique ordinaire et les lois de la thermodynamique des trous noirs est extrêmement frappante. La correspondance suggère d'attribuer au trou noir une entropie et une température données par S = (kc3/Gh)A et T = (h/kc)g (où k est la constante de Boltzmann et h la constante de Planck).
Mais alors surgit une apparente contradiction : si un trou noir possède une vraie température, il doit être capable de rayonner de l'énergie. Or, ceci est en conflit avec la définition classique du trou noir.
Les mini-trous noirs
Stephen Hawking a résolu le dilemme en 1974, en étudiant théoriquement l'interaction d'un trou noir avec le vide quantique. Dans la conception classique du trou noir rien ne peut sortir de l'horizon, qui joue le rôle d'une barrière insurpassable.
L'effet tunnel
Mais en mécanique quantique, une particule a toujours une probabilité non nulle de franchir une barrière par ce que l'on appelle l'effet tunnel, conséquence du fameux principe d'incertitude. Appliqué à la théorie des trous noirs microscopiques, le principe d'incertitude crée des tunnels quantiques à travers l'horizon gravitationnellement infranchissable et permet aux trous noirs de s'évaporer. L'évaporation se manifeste sous forme d'un rayonnement de corps noir, dont la température est fixée par l'accélération de la pesanteur à l'horizon :
T = (h/2 πkc)g = 10−7K(M0/M).
L'évaporation requiert un temps t ≅ 1064 ans (M/M0)3.
L'évaporation des mini-trous noirs
Ces formules montrent que les effets quantiques sont totalement négligeables pour les trous noirs de masse stellaire, mais deviennent dominants pour les mini-trous noirs moins massifs que 1015 g, dont le temps d'évaporation devient plus court que l'âge de l'Univers (quinze milliards d'années). De tels objets auraient pu se former au cours du big-bang, lorsque la pression ambiante était si élevée que le moindre « grumeau » de matière-énergie aurait pu se condenser en trou noir.
L'évaporation quasi immédiate des mini-trous noirs a pu jouer un rôle très important dans l'évolution cosmique. Toutefois, aucun indice observationnel ne permet de confirmer l'hypothèse des mini-trous noirs primordiaux. L'évaporation des mini-trous noirs de 1015 g devrait s'achever aujourd'hui dans une intense bouffée de rayonnement gamma. L'observation du fond de rayonnement gamma cosmique fixe une limite supérieure à la densité de ces mini-trous noirs, qui se révèle tout à fait négligeable.
Les trous noirs existent-ils ?
Le fait que les trous noirs soient l'objet d'une belle construction théorique ne garantit nullement leur existence réelle. La question qui intéresse au premier chef les astronomes est donc de savoir si ces astres effondrés peuvent réellement se former, et, si oui, où et comment les observer.
Baignant dans un environnement riche en gaz et en étoiles, un trou noir draine la matière ambiante et s'en nourrit ; la matière engloutie signale sa disparition par une émission de rayonnement électromagnétique que les télescopes s'emploient à détecter. Une majorité d'astrophysiciens estime aujourd'hui que des trous noirs de diverses tailles sont responsables des phénomènes parmi les plus lumineux de l'Univers : les sources X binaires au niveau des étoiles, les noyaux actifs et les quasars au niveau des galaxies.
Les sources X binaires
Les étoiles appartiennent fréquemment à des systèmes doubles. Leur destin individuel est profondément influencé si le couple est « serré ». Dans le cas des naines blanches, la binarité est source d'épisodes éclatants tels que les variables cataclysmiques et les novae. Dans le cas des étoiles à neutrons et des trous noirs, la transfiguration est encore plus spectaculaire. Elle se manifeste par des phénomènes divers dont la caractéristique commune est l'émission de rayonnement X de très haute énergie. Les satellites d'observation (les rayons X sont arrêtés par l'atmosphère terrestre) ont permis de découvrir une centaine de sources X binaires dans notre Galaxie. Certaines sont parfaitement régulières, attestant la présence d'étoiles à neutrons en rotation. D'autres sont erratiques : ce sont des sursauteurs (en anglais : bursters), c'est-à-dire des étoiles compactes agitées de brutales éruptions de rayons X durant quelques secondes.
Comment interpréter ces phénomènes ?
Dans un système binaire serré, la promiscuité met l'étoile compacte en mesure de capturer le gaz de sa compagne par aspiration gravitationnelle. Le gaz arraché est lentement entraîné par les forces centrifuges en un mouvement de spirale tourbillonnante et forme un disque d'accrétion.
C'est dans ce disque plus ou moins épais que la matière gazeuse, tombant peu à peu dans le puits gravitationnel central, transforme une partie de sa masse en lumière, de façon analogue au principe des centrales hydroélectriques qui convertissent l'énergie potentielle gravitationnelle d'une chute d'eau en énergie électrique. Les fluctuations de luminosité proviennent des régions internes du disque d'accrétion, qui sont très chaudes et agitées de turbulences.
Pour déceler sans ambiguïté la présence d'un trou noir dans un sursauteur X, il faut parvenir à le peser. La pesée séparée de chacune des composantes d'un système binaire est impossible ; l'astronome doit recourir à toute une chaîne de déductions : la masse du couple se déduit de la période orbitale ; la masse de la composante visible se déduit approximativement de son type spectral, et, moyennant une hypothèse sur l'inclinaison du plan orbital par rapport à la direction d'observation (fondée sur la présence ou l'absence d'éclipses), on évalue la masse approximative de l'étoile compacte. Si celle-ci dépasse significativement la masse maximale des étoiles à neutrons, disons 3 M0, le trou noir reste le seul candidat possible.
Des trous noirs dans notre galaxie
Une demi-douzaine de systèmes dont l'analyse indique une masse compacte supérieure à 3 M0 ont aujourd'hui été repérés dans notre Galaxie et dans la galaxie voisine, le Grand Nuage de Magellan. Il semble donc bien que les trous noirs stellaires aient été découverts. Si notre galaxie produit en moyenne une supernova par siècle depuis dix milliards d'années, et si une supernova sur cent engendre un trou noir (ces chiffres sont très incertains), notre galaxie devrait abriter au moins un million de trous noirs stellaires. Si l'on n'en observe à présent qu'une poignée, c'est parce que la phase d'émission X qui permet de les repérer dans les systèmes binaires ne représente qu'un minuscule épisode de leur évolution. Il existe d'autres trous noirs plausibles, mais qui ne sont pas homologués en raison de l'imprécision actuelle des observations.
Les trous noirs géants (ou supermassifs)
Après Michell et Laplace, l'idée des trous noirs géants a été réintroduite dans les années 1960 pour expliquer les grandes quantités d'énergie libérées par les noyaux actifs de galaxies. Il s'agit là d'une vaste famille d'astres encore mal compris dont les plus connus sont les quasars, qui ont en commun la propriété d'émettre d'énormes quantités d'énergie dans un volume réduit. Dans 1 % de toutes les galaxies observées, l'activité centrale est en effet si vive que l'énergie dégagée dans un volume aussi petit que celui du système solaire est bien plus grande que celle de la galaxie hôte.
Un cas exemplaire est celui du quasar 3 C 273 : situé à trois milliards d'années-lumière, il a l'éclat d'un millier de galaxies ; or, comme l'indique son apparence ponctuelle, sa taille est inférieure à une année-lumière.
Un autre exemple frappant est celui des radiogalaxies, qui éjectent à partir de leur centre de gigantesques jets gazeux à des vitesses proches de celle de la lumière. Les luminosités des noyaux actifs s'échelonnent entre cent milliards et un million de milliards de fois la luminosité solaire, et leurs masses entre un million et dix milliards de fois la masse du Soleil. On pense aujourd'hui que l'accrétion de matière par un trou noir géant est la clé de la prodigieuse activité des galaxies, l'émission d'énergie provenant de la matière qui y tombe : gaz, étoiles déchiquetées ou avalées tout entières.
Les observations
Ces considérations théoriques sont étayées par de nombreuses observations. La détection de trous noirs supermassifs au cœur des galaxies est l'un des grands défis de l'astronomie moderne. Le télescope spatial Hubble a notamment entrepris une recherche spécifique de ces objets. Une méthode de détection consiste à déduire la masse invisible à partir de la vitesse d'agitation de la matière environnante : étoiles ou nuages émetteurs proches du centre. Par exemple, le noyau de la galaxie elliptique M 87 a fait l'objet de telles mesures et on l'interprète comme un trou noir supermassif compris entre 3 et 5 milliards de masses solaires. Placé dans le système solaire, un tel trou noir s'étendrait jusqu'à l'orbite de Saturne !
Un grand nombre de noyaux actifs ont été observés, et les mesures indiquent invariablement des masses comprises entre 107 et 108 M0, ce qui confirme pleinement les arguments théoriques.
L'hypothèse des trous noirs géants dans les noyaux de galaxies est renforcée par l'observation des galaxies normales – celles dont le noyau n'est pas particulièrement lumineux –, qui révèlent maintes caractéristiques communes aux noyaux actifs. On peut observer le centre de notre propre Galaxie au moyen de radiotélescopes et de satellites artificiels détecteurs de rayonnement X et infrarouge (les autres longueurs d'onde étant absorbées par les bancs de poussières obscures qui peuplent la Voie lactée). L'hypothèse d'un trou noir d'un million de masses solaires en état d'accrétion lente est plausible, bien que la preuve définitive soit loin d'être acquise.
Le trou noir galactique
Il est possible que presque tous les noyaux de galaxies abritent des trous noirs géants, dont le débit d'énergie serait régulé par la quantité de carburant gazeux disponible. Le trou noir du centre de notre galaxie (d'une masse de l'ordre de 3 millions de fois celle du Soleil) ou celui des galaxies proches seraient des versions miniaturisées des phénomènes cataclysmiques qui se déroulent au cœur des galaxies plus lointaines et suractives. La production d'énergie d'un noyau actif de galaxie requiert la digestion d'une quantité de gaz comprise entre un centième de masse et cent masses solaires par an.
Dans une galaxie, les étoiles sont le principal réservoir de gaz. Pour se nourrir convenablement, un trou noir géant doit donc briser des étoiles et extirper leur gaz. Un trou noir géant est parfaitement capable de gober des étoiles entières, mais ce processus libère peu d'énergie, tout disparaissant dans le trou. La situation idoine est celle où l'étoile est cassée hors du trou, de façon que ses fragments puissent alimenter un disque d'accrétion. On connaît deux mécanismes susceptibles d'extraire toute la substance d'une étoile. Le premier est la collision à grande vitesse de deux étoiles au voisinage du trou noir, le second est la rupture d'une étoile individuelle par les forces de marée du trou noir. Les étoiles passant à l'intérieur d'une certaine zone critique autour d'un trou noir géant sont en effet aplaties comme des crêpes et rompues par de gigantesques forces de marée ; les gaz libérés tombent vers le trou noir et émettent du rayonnement.
Le principe de simplicité
Longtemps jugés par les astronomes comme une simple fantaisie de théoricien, les trous noirs sont aujourd'hui presque unanimement adoptés pour expliquer les sources X binaires massives et les noyaux actifs de galaxies. Permettant de construire les modèles les plus plausibles, ils répondent au principe de simplicité, qui stipule que parmi des hypothèses également soutenables mais de complexité différente, le physicien doit préférer la plus simple.
Le statut observationnel des trous noirs est toutefois encore précaire. Seule, peut-être, la détection des ondes gravitationnelles qu'ils sont censés émettre rendra leur existence indiscutable. Elle est espérée dans les prochaines décennies.