stoïcisme

(de stoïque)

Marc Aurèle
Marc Aurèle

Philosophie de l'école stoïcienne.

École philosophique fondée au iiie s. avant J.-C. par Zénon de Cition, le stoïcisme se prolonge à travers toute l'Antiquité, tant en Grèce que dans l'Empire romain, et reste influent jusqu'à notre époque. Pour cette philosophie de l'acceptation et du courage, à la fois fataliste (pour ce qui ne dépend pas de nous) et volontariste (pour ce qui en dépend), qui dit oui à tout ce qui arrive et à tout ce que la situation donnée, la vertu ou la raison exigent de nous, le bonheur est le souverain bien et la vertu, le seul bonheur.

Les œuvres des premiers stoïciens ne sont pas parvenues jusqu'à nous : outre quelques fragments et le fameux Hymne à Zeus de Cléanthe, nous ne les connaissons que par les citations qu'en ont fait les doxographes ou commentateurs, notamment Diogène Laërce, Sextus Empiricus et Cicéron. En revanche, nous disposons de beaucoup d'œuvres du stoïcisme impérial, parmi lesquelles les traités et les Lettres à Lucilius de Sénèque, le Manuel et les Entretiens d'Épictète, enfin les Pensées pour moi-même de Marc Aurèle.

Une longue histoire

Le stoïcisme n'est pas né de rien, ni du seul cerveau de Zénon. Outre une éventuelle influence de la pensée orientale, qui reste difficile à établir, les stoïciens se nourrissent de trois sources principales : Héraclite d'Éphèse, qui marquera surtout leur physique ; les philosophes de l'école de Mégare, qui influenceront surtout leur logique ; enfin ceux de l'école des cyniques – et, par eux, Socrate –, qui inspirent bien des traits de leur morale.

Si le stoïcisme est un « système » (les stoïciens inventèrent d'ailleurs le mot), il sut aussi s'adapter à travers l'histoire et intégrer les importantes variations proposées par ses disciples. On distingue traditionnellement trois périodes : l'ancien stoïcisme (Zénon, Cléanthe et surtout Chrysippe), qui couvre tout le iiie s. avant J.-C. ; le moyen stoïcisme (Panaitios de Rhodes, Posidonios), qui traverse les iie et ier s. ; enfin le stoïcisme impérial, le mieux connu, qui s'épanouit durant les deux premiers siècles après J.-C., grâce aux œuvres de Sénèque, Épictète et Marc Aurèle. Ces œuvres sont, pour le stoïcisme en général, notre source principale.

Malgré certaines évolutions ou divergences, les stoïciens resteront fidèles, durant ces cinq siècles, aux inspirations premières du Portique (stoa, en grec), comme on désignait alors l'école de Zénon, qui enseignait sous un portique d'Athènes. Cette constance bien rare doit beaucoup à la force intrinsèque du système, et c'est elle qu'il faut essayer de comprendre.

Une logique de l'événement

Les stoïciens divisaient traditionnellement leur philosophie en trois parties : la logique, la physique et l'éthique. Ces trois parties forment un tout, qui est le stoïcisme même, et doivent donc être prises ensemble. En revanche, dans l'exposition, elles doivent être nettement séparées. Pour des raisons surtout pédagogiques, les penseurs stoïciens avaient coutume de commencer leur enseignement par la logique.

Cette logique, c'est tout ce qui concerne le logos, c'est-à-dire, indissolublement, le discours et la raison. Elle inclut donc une théorie de la connaissance, qui est d'inspiration à la fois sensualiste (les sensations, pour les stoïciens, sont toutes vraies), rationaliste (la science est « fondée sur la raison ») et volontariste (toute connaissance suppose un jugement volontaire) : les stoïciens appellent « assentiment » le mouvement, à la fois nécessaire et volontaire, de l'esprit par lequel il adhère au vrai et au bien. Ce dernier point est sans doute le plus original, et domine tous les autres : connaître, c'est juger ; et juger, c'est vouloir. On comprend dès lors que la volonté ne peut pas vouloir n'importe quoi (car alors il n'y aurait plus de connaissance), mais uniquement ce qu'elle perçoit comme vrai ou bien.

Les attributs de l'âme

Les stoïciens nommaient « représentation » (phantasia) l'empreinte ou la modification produite dans l'âme par les objets qu'elle représente ; l'empreinte reproduit ce dont elle provient. La représentation est « compréhensive », elle est l'image d'un objet existant – dont elle porte « la marque et l'empreinte » – ; quand on ne peut douter de son exactitude, c'est alors une image claire et distincte, et le critère de la vérité : il s'agit de l'évidence première, sans laquelle aucune certitude ne serait possible. Les sensations et les prénotions (prolêpsis, notions communes ou idées générales) en résultent ; plus exactement, elles ne sont que des représentations compréhensives spécifiques, saisissant des objets sensibles (sensations) ou rationnels (prénotions). La représentation compréhensive, même si elle est un pathos (une affection), suppose toujours une activité du sujet, de même que l'assentiment qui lui est accordé, quoique nécessaire (on ne peut douter du vrai qu'on comprend), reste indubitablement un mouvement volontaire de l'âme.

La figure du sage

La liberté de l'esprit n'est donc pas un libre arbitre (qui pourrait choisir indifféremment ceci ou cela), mais une libre nécessité (qui adhère spontanément et nécessairement à ce qui lui paraît vrai ou bien). Elle n'est donc pas autre chose que la raison : c'est en quoi le sage seul est libre, ou l'est absolument, puisque lui seul sait ce que c'est que savoir. « Sauf le sage, rapporte Cicéron, personne ne sait quoi que ce soit; et cela Zénon le montrait par un geste. Il montrait sa main ouverte, les doigts étendus : c'est là la représentation, disait-il ; puis il repliait un peu les doigts : c'est là l'assentiment ; ensuite, quand il avait complètement fermé la main et qu'il montrait le poing serré, il déclarait que c'était là la compréhension. Enfin, il approchait la main gauche du poing fermé et il le serrait étroitement et avec force : il disait que c'était là la science, que personne ne possède sauf le sage » (Académiques I).

Linguistique et logique

La logique stoïcienne, comme théorie du logos, comporte aussi une rhétorique (ou art du discours) et une dialectique (ou art du raisonnement : c'est l'équivalent de notre logique formelle). Sur ces deux plans, les stoïciens sont allés très loin : ils anticipent de manière surprenante notre linguistique, notamment par la distinction entre signifiant (sêmainon), signifié (sêmainomênon) et référent (tunkhanon). Ils sont également les précurseurs de notre logique, par l'invention d'une logique des propositions ou des événements – qui se différencie de la logique aristotélicienne des noms ou des prédicats. Convaincus qu'il n'existe que des individus (ce qu'on peut appeler leur « nominalisme », qu'ils héritent des cyniques) et que tout est toujours en devenir (ce qu'on peut appeler leur « héraclitéisme »), les stoïciens se sont donné la logique nécessaire pour que soit possible – contrairement à ce que prétendait Aristote – une science de l'individuel : la physique.

Une physique des corps

Pour les stoïciens, il n'existe que des corps. On peut qualifier leur philosophie de matérialiste. Mais l'esprit n'en existe pas moins : l'âme est un corps, une partie du feu divin, qui anime les vivants de l'intérieur et qui, en l'homme, est raison. La totalité des corps est le monde, qui est unique, fini et plein dans un vide infini. Ce monde est vivant, rationnel, harmonieux, parfait (« puisqu'il comprend la totalité des êtres et que rien n'existe en dehors de lui »), et c'est pourquoi il est Dieu.

La physique stoïcienne est donc aussi une théologie, d'inspiration panthéiste. Dieu « n'a pas la forme humaine » : sa substance est « le monde tout entier et le ciel », et il fait régner sa providence dans « tout ce qui s'y trouve ». C'est pourquoi cette physique est fataliste : toutes les causes se tiennent et forment « un ordre et une connexion qui ne peuvent jamais être forcés ni transgressés ». Cette « chaîne des causes » (à laquelle correspond, dans la logique, la chaîne des propositions) est appelée par les stoïciens le destin, lequel est « une disposition du tout, depuis l'éternité, de chaque chose suivant et accompagnant chaque autre chose, disposition qui est inviolable » ; la chaîne des causes est ce à quoi tout est soumis et le destin – les stoïciens disent aussi l'« ordre du monde » – n'est pas autre chose que l'ensemble de tout ce qui arrive, considéré dans son éternelle Vérité : « tout arrive selon le destin ».

Il n'y a ni hasard ni contingence. car l'un des grands thèmes stoïciens est aussi la destruction et le recommencement périodiques de l'univers (éternel retour ou palingénésie) : c'est en quoi la connaissance de l'avenir, ou divination, est possible.

Les « incorporels »

Dans ce monde de corps, les stoïciens laissaient pourtant une place à ce qu'ils appelaient les « incorporels ». Ce n'est pas contradictoire avec l'ensemble de leur théorie. Certes, « les corps sont les seules réalités et la seule substance » ; eux seuls existent, absolument, eux seuls agissent et pâtissent. Mais la pensée rencontre aussi des pseudoréalités, qui ne sont pas vraiment des êtres, qui n'agissent ni ne pâtissent, mais qui ne sont pas non plus de purs néants et dont la pensée ne peut se passer.

Les incorporels sont au nombre de quatre : l'exprimable (lekton, le contenu du discours), le vide, le lieu et le temps. On ne saurait pourtant les prendre pour des êtres véritables, et c'est en quoi les stoïciens ne seront dupes ni du discours ni du temps : le sage vit au présent et, sinon toujours en silence, du moins sans bavardage. Il s'agit de ne rien ajouter au monde : ni regrets ni craintes, ni erreurs ni mensonges. La vérité suffit, et doit suffire.

Une éthique de la volonté

Cela nous conduit à l'éthique. Contre les épicuriens (→ Épicure), leurs contemporains et adversaires, les stoïciens refusent de considérer que le plaisir soit un bien. « En effet, disaient-ils, il y a des plaisirs honteux, et rien de ce qui est honteux n'est un bien. » Pour la même raison, la douleur n'est pas un mal, puisqu'il n'y a « d'autre mal que ce qui est honteux », ce que la douleur n'est pas. Il en résulte que « le seul bien, c'est ce qui est moral (honestum) ; et avoir une vie heureuse, c'est vivre moralement, c'est-à-dire avec vertu » (Cicéron, De finibus).

Ce qu'on peut appeler le moralisme des stoïciens est indissociable du naturalisme de ces philosophes. Le souverain bien consiste en effet à « vivre en accord avec la nature » : « en accord », c'est-à-dire homologoumenôs, « d'une même raison ». C'est en quoi la vie naturelle est aussi une vie raisonnable et, par là, une vie vertueuse : la vertu est « conformité de l'âme avec elle-même », de la raison en moi avec la raison en tout.

La soumission volontaire au destin

Naturalisme, rationalisme et moralisme vont donc ensemble : « La fin suprême est de vivre selon la nature, c'est-à-dire selon sa nature et celle du tout, en ne faisant rien de ce qui est défendu par la loi commune, la droite raison répandue à travers toutes choses, laquelle est identique à Zeus et gouverne tout l'univers. » Il en découle aussi une vision politique : le sage est citoyen du monde (kosmopolitês) et sujet seulement de son ordre divin.

Il n'y a là aucune passivité. S'il est vrai qu'il faut se soumettre au destin, cette soumission est elle-même un acte volontaire, qui en inclut beaucoup d'autres. Nous soumettre au destin, c'est certes accepter tout ce qui arrive ; mais c'est aussi y jouer notre rôle, du mieux que nous pouvons. Entre liberté et fatalité, il n'y a aucune opposition. Toute action est fatale, qu'elle soit libre ou serve ; l'action libre n'est pas celle qui échappe au destin (c'est évidemment impossible), mais celle qui s'y soumet en connaissance de cause et qui y participe activement. « Le destin conduit celui qui y consent, disait Sénèque, il entraîne celui qui lui résiste » (Lettre à Lucilius, 107).

L'apatheia stoïcienne est le contraire d'une apathie, au sens moderne du terme : loin d'être absence d'action, elle correspond à l'inverse à l'absence de passion (de pathos), et c'est précisément en quoi le sage stoïcien est un homme d'action. Marc Aurèle dira: « Ne rien attendre, ne rien fuir, mais te contenter de l'action présente » (Pensées, III, 12). Soit : « Aide-toi toi-même, tant que tu le pourras » (III, 14), fais tout ce qui t'incombe, fais-le « immédiatement » (VIII, 5), et laisse le reste au Dieu ou au destin.

La recherche de la vérité

Cela suppose qu'on sache distinguer, comme disait Épictète, « ce qui dépend » de nous et « ce qui n'en dépend pas » : « Les choses qui dépendent de nous sont naturellement libres, sans empêchement, sans entrave ; celles qui ne dépendent pas de nous sont fragiles, serves, facilement empêchées, propres à autrui » (Manuel, I). L'homme libre, c'est en effet celui à qui tout arrive selon sa volonté – mais comment serait-ce possible s'il veut ce qui n'en dépend pas ? Le sage cessera donc d'espérer quoi que ce soit qui ne dépende pas de lui (c'est-à-dire d'espérer tout court), et se contentera de vouloir ce qui en dépend (ce qui est, exactement, vouloir). Il sera donc toujours parfaitement libre, car « est libre celui qui vit comme il veut » (Épictète, Entretiens, IV, 1) et parfaitement heureux, puisque tous ses désirs seront comblés. Le sage ne connaît « ni l'espoir ni la crainte », disait Sénèque (De la constance du sage, 9), et c'est à quoi sans doute il se reconnaît : la vérité et la volonté lui suffisent.

Telle est, encore aujourd'hui, la leçon du stoïcisme : la vérité et la volonté sont nécessaires l'une et l'autre. Le message du stoïcisme, d'une rare grandeur spirituelle, a su éclairer toutes les couches de la société antique, depuis l'esclave Épictète jusqu'à l'empereur Marc Aurèle, puis féconder toute la pensée occidentale moderne, de Montaigne ou Descartes jusqu'à Alain, Simone Weil ou Vladimir Jankélévitch.