Beat generation
Mouvement littéraire et culturel américain qui a regroupé durant les années 1950-1960 des jeunes, des écrivains (A. Ginsberg, J. Kerouac [Sur la route, 1957], W. Burroughs), des artistes peintres de l'Action Painting et un poète-éditeur (L. Ferlinghetti).
Le sens du mot beat est incertain : il peut signifier « battu », « vaincu » ou « battement » (par allusion au jazz), ou encore exprimer la « béatitude ». On retrouve cette racine dans beatnik (nik, gars) ; beat peut s'employer seul comme adjectif. Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso, Lawrence Ferlinghetti, jeunes écrivains groupés à San Francisco en 1950, se baptisèrent eux-mêmes la Beat generation, la génération vaincue, la génération du tempo.
Pour comprendre ce mouvement et sa place dans l'avant-garde, il convient de rattacher sa révolte à une tradition libertaire et individualiste qui remonte au xixe siècle américain, lorsque l'injustice de certaines lois, en contradiction avec l'idéal démocratique américain, suscita les violentes critiques de Henry Thoreau. Cet écrivain, qui appelait à la « désobéissance civile » et qui condamnait le code matérialiste d'un pays dont, par ailleurs, il chantait la grandeur, a été reconnu par les beatniks comme un précurseur. L'Europe joue également un rôle majeur dans la genèse de ce mouvement. La « beat generation » lit avec ferveur William Blake, Artaud, Michaux, tandis qu'Aldous Huxley, qui séjournait alors sur la côte Ouest, lui fait découvrir la pensée orientale et l'usage systématique et « métaphysique » des hallucinogènes. Les beatniks admirent l'écrivain W. Burroughs, révolté et drogué, et Henry Miller, qui raille le « cauchemar climatisé » des États-Unis.
Cette double influence, européenne et américaine, explique l'ambivalence des rapports de la Beat generation avec son pays. D'une part, elle cherche à redécouvrir l'immense territoire américain, tel qu'il s'est offert aux premiers colons, à retourner aux sources de la liberté :
« Et j'attends que quelqu'un
découvre vraiment l'Amérique
et pleure…
et j'attends
que l'Aigle américain
déploie vraiment ses ailes
et se dresse et s'envole… » écrit Ferlinghetti.
À bord d'une vieille voiture, souvent abandonnée à la fin du périple, ou en auto-stop, les poètes beat sillonnent les États, campant à l'écart des routes, couchant à la belle étoile. Jack Kerouac s'est fait le chantre de cette libre errance (Sur la route, 1957). D'autre part, cet amour du territoire américain s'accompagne de mépris pour le peuple qui a oublié sa liberté première, sacrifiée à l'argent et au confort. Le beatnik s'identifie parfois aux indigènes, et même à la faune, décimés par les colons :
« Je serai moi-même
Libre, un génie embarrassant
Comme l'Indien, le bison… » (Corso.)
Chez Allen Ginsberg, la critique se fait virulente. Dans son poème Howl (1955), lu d'abord en public, il attaque avec une violence forcenée les institutions et le conformisme américains.
Tendances bouddhistes
Cependant, la Beat generation ne s'est pas engagée politiquement. Son refus du mode de vie américain se manifeste par l'adoption d'un spiritualisme naïvement inspiré du bouddhisme. Le beatnik veut être, en même temps qu'un vagabond fuyant son état civil, « un futur Bouddha (Instrument du réveil) et un futur héros du paradis » (Kerouac). Il est un « clochard céleste ». Mais ce déraciné volontaire peut, tel Kerouac à la recherche de ses ancêtres celtes (Satori à Paris, 1966), tel Ginsberg célébrant sa mère juive (Kaddish, 1961), être habité par la nostalgie d'une origine.
La poésie beat, très peu littéraire, est faite pour la lecture à haute voix. Les oral messages de Ferlinghetti sont « des poèmes conçus spécialement pour accompagnement de jazz ». L'écriture beat, indisciplinée, ne marque aucun choix dans le flux de sensations qu'elle tend à épouser dans sa totalité. La prose de Kerouac, également destinée à la lecture publique, se modèle, au fil de la plume, sur l'errance et les repos du beatnik, usant d'un rythme de jazz, du ton ample de l'hymne ou de la forme relâchée de la conversation.
Précurseurs des hippies
Devenus rapidement riches et célèbres, les poètes de la Beat generation, qui ne furent jamais des révolutionnaires, n'en continuent pas moins à manifester, publiquement ou dans leurs écrits, leur refus de la politique et du mode de vie américains. L'influence de la Beat generation reste immense aux États-Unis, dans la naissance et le développement du mouvement hippy, notamment. De nombreuses chansons de Bob Dylan et le film Easy Rider (1968), par exemple, se réfèrent à la mythologie beat, qui a également suscité l'émulation dans une fraction de la jeunesse européenne.