cristallographie
Branche des sciences physiques qui étudie la structure et les propriétés des cristaux, de l’aspect macroscopique à l’échelle atomique.
1. Aperçu historique
1.1. Premières lois cristallographiques
À l’origine, la cristallographie était purement descriptive et constituait une branche de la minéralogie. Mais sous l’impulsion d’éminents minéralogistes, la cristallographie devient un champ d’étude à part entière dans la seconde moitié du xviiie siècle.
La première loi quantitative de la cristallographie, la loi sur la constance des angles, est formalisée en 1772 par Jean-Baptiste Romé de l’Isle (elle sera précisée en 1783). Puis l’abbé René Just Haüy énonce la loi dite des « indices rationnels » en 1774. Haüy avait notamment remarqué que lorsqu’il clivait des cristaux de calcite (→ carbonate), il obtenait des morceaux dont la forme était rigoureusement semblable à celle du cristal initial. Il est ainsi le premier à envisager un cristal comme un empilement périodique dans les trois directions de l’espace – ce que nous appelons aujourd'hui une maille élémentaire. Il découle de cette observation que la position de chaque face d’un cristal peut être repérée dans l’espace par trois nombres entiers.
1.2. L'influence des mathématiques
C’est ainsi que les mathématiques font leur entrée dans l’analyse des structures cristallographiques. Et en 1849, c’est Auguste Bravais qui va énumérer les 14 réseaux qui portent son nom et les 32 groupes de rotations compatibles avec ces réseaux. La théorie mathématique de la cristallographie est finalisée dans les années 1890 par le cristallographe russe Ievgraf S. I. Fedorov et le mathématicien allemand Arthur Schönflies qui proposent indépendamment le classement des cristaux en 230 groupes d'espace, caractérisant ainsi toutes les symétries possibles des cristaux.
1.3. Au cœur de la matière
La cristallographie passe un nouveau cap au début du xxe siècle en s’attaquant au monde microscopique avec la découverte des rayons X par Wilhelm Röntgen (prix Nobel de physique en 1901) et du phénomène de diffraction cristalline par Lawrence Bragg (prix Nobel de physique en 1915), dont la mise en évidence expérimentale a été réalisée par Max von Laue (prix Nobel de physique en 1914).
La cristallographie est aujourd’hui l’un des outils majeurs pour la description des solides minéraux et métalliques, mais aussi pour celle des composants biologiques, dont la nature chimique et la conformation dans l’espace déterminent nombre des propriétés actives dans les processus du monde vivant.
Pour sonder la structure de la matière cristalline, on utilise aujourd'hui les sources de rayons X produits notamment par rayonnement synchrotron dans l’accélérateur de particules SOLEIL sur le plateau de Saclay ou dans le laboratoire de l’ESRF à Grenoble. La diffraction des neutrons (spécialité du Laboratoire Léon Brillouin du Commissariat à l’énergie atomique situé à Saclay, et de l’Institut Laue-Langevin à Grenoble) et la diffraction des électrons dans les microscopes électroniques sont également mis à contribution.
2. Techniques radiocristallographiques
Quand on envoie un rayonnement électromagnétique (rayons X, gamma…) ou un faisceau de particules (neutrons, électrons…) sur un cristal, il se produit un phénomène remarquable d'interférences constructives, appelé diffraction, au cours duquel les rayons ou les particules sont déviés uniquement selon certaines directions privilégiées (loi de Bragg), caractéristiques des plans atomiques du cristal. C’est ce phénomène qui permet de déterminer les positions relatives des atomes dans le cristal, autrement dit sa structure atomique, en analysant quantitativement les intensités recueillies dans les différentes directions de diffraction de l’espace.
2.1. Diffraction des rayons X
La diffraction des rayons X est la technique la plus utilisée pour l’étude des propriétés cristallographiques de matériaux naturels ou de synthèse. En effet, les rayons X sont sensibles à la densité électronique déterminée par la distribution des électrons au sein du matériau.
D’un point de vue expérimental, un faisceau de rayons X est envoyé sur l’échantillon placé au centre du diffractomètre. Un goniomètre permet de faire varier l’orientation de l’échantillon et de mesurer les angles correspondants. Pour chaque position du cristal, les rayons sont déviés et forment un schéma d'interférences : si les ondes sont en phase, elles donnent naissance à une tache de diffraction caractéristique sur le détecteur ; si elles ne sont pas en phase, aucune tache n’apparaît.
L’ensemble des ondes diffractées, enregistrées autrefois sur des plaques photographiques et aujourd’hui sur des détecteurs CCD ou CMOS, forme une figure de diffraction appelée diffractogramme. À partir de la position et de l’intensité des taches de diffraction, on peut déterminer la géométrie et les symétries du réseau cristallin. Puis, à l’aide de techniques d’affinement (notamment une transformation mathématique, dite transformée de Fourier, appliquée à la densité électronique du cristal), on obtient une cartographie de la distribution des électrons au sein du cristal à partir de laquelle il est facile de déduire la position des atomes, les électrons se localisant plus particulièrement autour des noyaux atomiques. C’est grâce à cette méthode puissante et précise qu’ont été déterminées la plupart des structures atomiques des cristaux, et en particulier celle de l’ADN – déterminée grâce aux clichés effectués par Rosalind Franklin.
2.2. Diffraction par les électrons
Les microscopes électroniques permettent d’obtenir directement sur un écran les figures de diffraction engendrées par des lames minces cristallines soumises à un flux d’électrons monoénergétiques. En effet, les électrons incidents, accélérés à une vitesse proche de celle de la lumière par une tension électrique de quelques centaines de milliers de volts, ont un comportement ondulatoire analogue à celui des rayons X, générant ainsi un phénomène de diffraction. Celui-ci est dû à la forte interaction entre le potentiel électrique du cristal et les électrons incidents.
Quand il ressort de l'échantillon, le faisceau d'électrons comporte des informations sur la structure de l'échantillon qui sont amplifiées par le système de lentilles électromagnétiques convergentes de l'objectif du microscope.
Les calculs de diffraction électronique sont plus compliqués que dans le cas des rayons X et requièrent des techniques issues de la physique quantique. Ce désavantage est largement compensé par la possibilité d’obtenir, directement et en temps réel, une image du cristal à l’échelle atomique, qui montre la répartition des colonnes d’atomes perpendiculairement au faisceau incident. On peut ainsi observer les défauts locaux d’empilement, par exemple les joints de grains qui sont responsables de nombreuses propriétés macroscopiques des matériaux. De même, il est possible d’observer et de caractériser les dislocations dans les métaux. C’est également grâce à la diffraction électronique qu’ont été découvert les quasi-cristaux en 1984 par Dan Shechtman, Ilan Blech, Denis Gratias et John Cahn, ce nouvel état ordonné mais non périodique de la matière.
2.3. Diffraction par les neutrons
La diffraction par les neutrons est la plus récente des techniques cristallographiques. Elle se démarque des deux techniques précédentes par les propriétés spécifiques des neutrons. En effet, la diffraction est gouvernée par les chocs éventuels des neutrons incidents avec les noyaux des atomes du cristal.
Le pouvoir de diffraction du cristal dépend de la nature des noyaux des atomes et varie significativement selon les différents isotopes d’un même élément chimique. C’est ainsi que l’hydrogène, élément chimique le plus léger de l’Univers, peut être substitué par du deutérium, dont le pouvoir de diffraction est élevé, ce qui permet de le localiser dans les molécules constituant les cristaux, venant ainsi compléter les techniques précédentes qui sont, elles, peu sensibles aux éléments légers.
Autre avantage, les neutrons possèdent un moment magnétique de spin qui les rend sensibles aux champs magnétiques régnant au sein des cristaux. Ils constituent ainsi un outil de choix pour étudier les propriétés magnétiques des matériaux.
Néanmoins cette technique reste d'un usage assez limité, car elle nécessite la mise en œuvre de moyens techniques très importants − les sources de neutrons étant produites soit par des réactions de fission dans des réacteurs nucléaires, soit par spallation (réaction nucléaire à haute énergie impliquant la collision entre un noyau-cible et une particule incidente avec émission de neutrons notamment).
3. Applications
La cristallographie est la science la plus performante pour étudier toutes sortes de matériaux, qu’ils soient idéalement organisés (cristaux parfaits), partiellement organisés (polymères, cristaux liquides, verres) ou cristallisés artificiellement (cristaux de protéines). Elle est ainsi devenue indispensable à de très nombreux domaines de recherche, allant de la chimie aux sciences de l’environnement, de la physique à la médecine, et de la microélectronique aux biotechnologies.
L’un de ses champs d’application privilégié est bien entendu le développement de nouveaux matériaux que l’on retrouve dans notre environnement quotidien sous la forme, par exemple, de cartes mémoires d’ordinateurs, d’écrans plats de télévision, de composants d’automobiles et d’avions, etc.
Des techniques cristallographiques sont également très utilisées pour étudier les matériaux constituant l’intérieur de notre planète (→ Terre) pour mieux comprendre les phénomènes volcaniques et les tremblements de terre.
Mais la cristallographie est aussi devenue indispensable aux sciences du vivant. Pour preuve, le prix Nobel de chimie 2012 a été décerné aux médecins américains Brian Kobilka et Robert Lefkowitz pour leurs travaux cristallographiques ayant permis de montrer que la structure d’une protéine se modifie lorsqu’elle transmet une information vers l’intérieur de la cellule. Une découverte très importante pour l’industrie pharmaceutique qui pourrait notamment concevoir des médicaments avec moins d’effets secondaires (en particulier dans le traitement de l’obésité, des maladies neurodégénératives ou psychiatriques), et contribuer à la recherche de vaccins plus efficaces pour lutter contre les virus.
Les propriétés macroscopiques des matériaux qui nous entourent – minéraux, métaux, polymères ou encore matière biologique – sont directement liées à leur composition chimique mais aussi à l’arrangement des atomes entre eux. La compréhension des relations entre structure atomique et fonction est l’objectif de la cristallographie moderne.