Nigeria : histoire

Culture Nok, tête en terre cuite
Culture Nok, tête en terre cuite

1. La préhistoire

1.1. Le paléolithique

Quelques outils paléolithiques (« pebble culture ») ont été découverts à Beli, dans l'État du Borno (olduvien). Des vestiges néolithiques, présents un peu partout, en particulier sur le plateau de Jos : Mai Idon Toro, Nok et Ngalda (acheuléen) ; au sud du Plateau, Jebba, Abuja, Nassarawa et Keffi (sangoen). Les objets plus petits et plus tranchants de l'âge de pierre moyen (35 000 avant J.-C.-12 000 avant J.-C.) se concentrent à Afikpo (État d'Eboniyi), sur le plateau de Jos et dans les Lirue Hills. À l'âge de pierre tardif (15 000 avant J.-C.-500 avant J.-C.), les objets se multiplient (Kursakata et Daima dans l'État du Borno, Iwo Eleru dans l'État d'Ondo, où l'on a trouvé le plus ancien squelette du Nigeria [9000 avant J.-C.], à proximité d'Old Oyo, à Afikpo).

1.2. Âge du fer : la civilisation de Nok

Ils laissent lentement place à l'âge du fer, pendant lequel s'établit, près de Jos, la civilisation de Nok (500 avant J.-C.-200 après J.-C.), dont les vestiges attestent d'une ancienne maîtrise du fer, d'une activité agricole importante, de la pratique de l'élevage, d'un art de la parure et d'une sculpture anthropomorphe et zoomorphe en terre cuite de tailles très variables. Des objets d'un style voisin en cuivre et en bronze ont aussi été trouvés à Katsina-Ala (État de Benue), Esie, Wanba, Jedda, Tabba et Taruga. Un artisanat du fer et des armes, du cuivre, de la sculpture sur bois et du travail du sel caractérise aussi cet espace. Cela permet de considérer qu'avant même que ne se constitue un ensemble politiquement unifié, il y avait un espace culturel Nok structuré par des échanges.

2. Le Moyen Âge

Le Nigeria est soumis tout au long du Moyen Âge à un intense brassage de populations, au cours duquel, du viie au xie siècle, les Haoussas s'installent dans le Nord et les Yorubas dans le Sud-Ouest, tandis que les groupes ethniques plus anciens gagnent des zones de refuge (plateau de Jos et forêts marécageuses de l'Est).

2.1. De l'empire kanouri du Kanem-Bornou aux cités-États haoussas

Les royaumes haoussas du Nord se mettent en place à partir du xie siècle et entrent dans la mouvance de l'islam avec la conversion du souverain du Kanem.

Ce royaume, dont l'extension maximale au xive siècle va de Kano au Ouaddaï, s'affaiblit à la suite de troubles intérieurs, favorisant la croissance des royaumes haoussas et notamment de Zaria et surtout de Kano, dont la dynastie embrasse à son tour l'islam au xive siècle. Kano connaît son apogée sous le règne de Mohammed Rimfa (1463-1499), mais se heurte à la renaissance du Bornou au siècle suivant. Le Kanem-Bornou connaît les règnes brillants d'Ali Gaji, de son fils Idris (1504-1526) et, surtout, d'Idris Alaoma (vers 1571-vers 1603), et la vieille dynastie des Sef (ou Sayfiya) durera jusqu'en 1846.

Les royaumes haoussas de Kano, de Katsina et de Zaria passent, brièvement, sous la suzeraineté de Gao, à la différence du Kebbi. Après la défaite des Askia à Tondibi (1591), Kano et Katsina s'affrontent pour le contrôle du commerce transsaharien.

2.2. Les royaumes médiévaux du Sud-Est

Les fouilles effectuées à Igbo Ukwu, près d'Onitsha, à partir de 1959, ont mis au jour des bronzes datant du milieu du ixe s. qui attestent de l'existence d'un royaume assez riche pour disposer d'une vaisselle de cérémonie et d'un mobilier funéraire complexe. Une société hiérarchisée avec un roi à sa tête et d'habiles artisans maîtrisant la technique de la cire perdue. On a longtemps pensé que les matériaux (cuivre et plomb) entrant dans la composition des bronzes attestaient d'échanges à longue distance (Maghreb), mais, depuis peu, on a découvert que l'on en produisait dans la région, à Abakaliki et à Calabar.

L'histoire de l'espace oriental nigérian s'est poursuivie autour des villages igbos, avec leur système politique non centralisé ou leurs monarchies mimétiques des systèmes qui les environnaient. Plus près de la côte, le delta du Niger abritait les cités-États ijos, structurées par les clans et les lignages marchands, qui se constituèrent entre le xiie s. et le xive siècle avant de prendre leur essor, grâce au commerce atlantique, à partir du xvie siècle. Ibibios et Efiks de Cross River, communautés orubos du delta occidental, royaume itsekiri complétaient le peuplement de la région depuis le xiv-xve siècle.

2.3. Les cités-royaumes yorubas

Indépendance et rivalité

L'espace yoruba, qui déborde sur le Bénin voisin actuel, n'a jamais connu d'unité politique. Les cités-royaumes yorubas, qui apparaissent vers le ixe -xiie siècle, ont coexisté ; certaines sont restées modestes non sans rayonner artistiquement (Owo), d'autres ont connu un destin politique plus glorieux, voire impérial. L'apogée d'Ife précède de quelques siècles celle d'Oyo, alors que le royaume edo-yoruba de Bénin, qui émerge au même moment qu'Ife, ne connaît pas la même éclipse.

Sans disparaître, les cités-royaumes yorubas se replient, ouvrant la voie à l'émergence de leurs rivales. S'il existe une communauté culturelle yoruba – une origine mythique partagée, un centre religieux commun à Ile-Ife, un panthéon commun mais qui valorise différentes divinités selon l'endroit, un continuum dialectal marqué parfois par de fortes différences – caractérisée par la proximité de ses systèmes politiques (les institutions de gouvernement, le roi [oba], les conseils de chefs), il n'y a jamais eu d'unité politique de l'espace yoruba, ni de « pays yoruba », ou Yorubaland. Les productions artistiques à Ife ou à Bénin attestent autant d'un registre partagé que de fortes spécificités locales et ce, à plusieurs siècles d'intervalle.

Ile-Ife

Le site d'Ile-Ife est occupé dès le viiie-xe siècle. Le royaume se développe et atteint son apogée au xive siècle, alors même que les artisans de la cité-royaume produisent les terracottas et les bronzes qui ont fait la célébrité de la ville depuis les années 1930. L'apogée de la sculpture à Ile-Ife et l'introduction de la technique du bronze au Bénin datent probablement des xiiie-xive siècles.

Oyo

Au xve siècle, Ile-Ife décline alors qu'Oyo commence à étendre son emprise territoriale sur ses voisins yorubas et en direction du Niger. Le royaume est né à la fin du xive siècle d'une migration yoruba qui colonise le site d'Old Oyo, au cœur d'une zone fertile et au carrefour des routes de commerce de la savane et de la forêt. Grâce à sa cavalerie, il soumet les cités yorubas de la savane. Le royaume est à son apogée à la fin du xviiie siècle, quand il subit l'invasion peule-haoussa d'Ousmane dan Fodio, qui provoque la destruction d'Old Oyo et la fuite de l'oba, contraint de refonder sa ville plus au sud au début du xixe siècle.

Ces migrations forcées et ces refondations urbaines sont le lot commun de nombreuses communautés : Ibadan, Ogbomosho, Abeokuta, Ijaye sont aussi des fondations nouvelles. L'appétit de puissance des chefs de guerre d'Ibadan plongera l'espace yoruba dans les guerres entre cités pendant toute la seconde moitié du xixe siècle. Ibadan y gagnera de reconstituer un empire qui cèdera à la fin du xixe siècle devant les Britanniques et la coalition de ses ennemies, Abeokuta et Ijebu.

Le royaume de Bénin

Le royaume de Bénin est un des principaux royaumes yorubas à avoir durablement affirmé sa puissance militaire et politique dans la région. Or, initialement, c'est un royaume edo. La « période Ogiso » (900-1170) prit fin lorsque les Edos recoururent à l'oba d'Ife pour mettre un terme à l'instabilité politique de leur cité. Cette période reste obscure, car les souverains Ogisos sont connus par une tradition orale fortement marquée par l'influence yoruba ultérieure. Initialement, le royaume, connu sous le nom d'Igodomigodo, est une confédération de communautés edos autonomes et le souverain, maître de la terre, n'est qu'un ancien que ses pairs portent à leur tête.

L'arrivée de la dynastie yoruba depuis Ile-Ife date de 1170. Quel que soit le récit mythique retenu, les Edos demandent à l'oba d'Ife de venir régner sur Bénin, ce dernier refuse mais leur envoie son fils, Oranmiyan, premier oba de Bénin. La dynastie s'est vraisemblablement imposée à la population edo avec difficulté, car il a fallu se concilier les chefs, et la taille du royaume reste modeste jusqu'à la fin du xive siècle. Les oba n'ont consolidé leur imperium sur la région qu'à partir du xve siècle sous les règnes d'Ewuare (vers 1440) et d'Ozolua (vers 1481).

Les xve et xvie siècles correspondent à l'âge d'or de Bénin. Grâce à des rois conquérants, le royaume s'étend de Lagos à Bonny et contrôle la majeure partie de la côte. Seul le roi d'Udo oppose une résistance durable à l'oba Esigie (vers 1504). C'est sous son règne que des chefs et des princes sont autorisés par l'oba à se convertir au catholicisme et son fils et successeur, Orhogbua (vers 1550), apprit à lire en portugais.

Au xviie s., les oba renoncent aux aventures militaires et se replient dans leur palais. Bientôt la règle fut édictée que les oba ne pouvaient plus conduire les troupes au champ de bataille, ce qui modifia la fonction royale. Les conséquences de l'introduction du catholicisme, les problèmes de succession et le poids croissant des chefs à la cour pendant la dernière décennie du xviie siècle provoquèrent une guerre civile qui dévasta le royaume, à commencer par le palais. Le royaume sortit de la crise dans les années 1730 et son activité commerciale lui redonna du lustre, sans qu'il retrouve sa puissance antérieure. Il restait coupé de la côte.

Ruy de Sequeira, le premier Portugais à découvrir Bénin, arriva en 1472 mais la ville de Bénin n'a été visitée pour la première fois qu'en 1486. Des relations commerciales s'établissent immédiatement, surtout à partir de São Tomé, portant sur la traite des esclaves et, accessoirement, sur le poivre et l'ivoire. Les Portugais prennent aussi contact avec les peuples du delta du Niger – Ijos, Ibibios et Ibos – parfois regroupés en fédérations. Le développement de la traite entraîne leur organisation en communautés marchandes.

Oyo continue à s'étendre vers l'ouest jusqu'au Togo, le Dahomey lui payant tribut, et Bénin prospère tout au long du xviie siècle. Les petits royaumes du delta, entièrement dépendants du commerce européen, passent sous le contrôle de plus en plus centralisé des Egbas. Oyo est déchiré par des guerres civiles dues à l'affaiblissement du pouvoir royal ; les provinces éloignées deviennent autonomes les unes après les autres. L'installation des Peuls à Ilorin, tout près d'Oyo et dans la zone où les chefs se procuraient leurs chevaux pour la guerre, prend un tour menaçant ; la vieille capitale est occupée et le chef tué en 1835. Le royaume se démantèle en une série d'États : Ibadan, l'État egba avec Abeokuta, Ijaye, Ijebu, etc. Sous la poussée des Peuls, ces pays yorubas s'orientent davantage vers la côte et intensifient leurs relations avec les Européens.

2.4. Ousmane dan Fodio, fondateur de l'empire peul du Sokoto (xixe siècle)

Excepté au Bornou, l'islam est en régression au xviie siècle avec l'effacement de Katsina devant le Gober, où règne une dynastie animiste. C'est dans ce milieu, où les Peuls musulmans constituent la classe des lettrés, que naît le mouvement réformateur. Il en découle la révolte foulanei et la guerre sainte (ou djihad) menée à partir de 1802 par Ousmane dan Fodio, puis par son frère Abdullahi pour l'Ouest, et son fils Mohammed Bello pour l'Est.

Ainsi se constitue un État théocratique centralisé, avec Sokoto comme capitale, destiné à imposer partout l'islam, mais aussi un pouvoir peul (contrôle des marchés et des caravanes, notamment d'esclaves). Ousmane dan Fodio attaque d'abord le Gober, puis Zaria. Les anciens sultanats haoussas de Kano et de Katsina tombent en 1807.

Vers 1830, l'Empire foulani, organisé en provinces, couvre, sauf le Bornou, tout le nord du Nigeria actuel, y compris le Nupe, jusque vers Ilorin au sud-ouest et l'Adamaoua au sud-est. Remarquablement administré par Mohammed Bello, il n'échappe pas à des remous après la mort de ce dernier. Cependant, le cheikh Mohammed al-Kanemi maintient la vieille puissance bornouane face aux Peuls et, en 1846, à la suite d'une tentative du dernier représentant des Sef pour l'évincer, monte sur le trône. Sa propre dynastie est renversée en 1893 et le Bornou occupé par le négrier soudanais Rabah.

3. La colonisation britannique

3.1. Une pénétration tardive

Les Britanniques, après avoir détruit les installations portugaises en 1553 grâce à leurs vaisseaux, monopolisent progressivement la traite des esclaves dans le golfe du Biafra, jusqu'à sa suppression au xixe siècle. Mais ce n'est que très tardivement que les commerçants britanniques acceptent de pénétrer dans l'intérieur du Nigeria à la recherche de matières premières. Les premiers étrangers à s'installer sur la côte, à Badagri puis à Lagos, sont des Saros ou des Amoros. Les premiers sont des Yorubas vendus comme esclaves puis sauvés des négriers par la Royal Navy et débarqués à Freetown. Là, ils sont convertis et éduqués dans les missions britanniques, suédoises ou hollandaises. Adultes, ils se consacrent au commerce ou à l'œuvre missionnaire et reprennent le chemin du Nigeria.

Les seconds, catholiques essentiellement, reviennent du Brésil pour s'installer à Lagos. Ils font bientôt appel à des missionnaires qui vont, les premiers, entrer en contact avec les cités yorubas de l'intérieur, en particulier Abeokuta. La présence britannique se limite longtemps à la côte et à l'établissement des consulats de Lagos et de Calabar, car les consignes de Londres sont de ne pas se mêler des guerres intérieures. Le paludisme reste alors un fléau.

3.2. La colonie de Lagos et les protectorats du Nord et du Sud

En 1849, John Beecroft est nommé consul britannique à Fernando Poo pour surveiller les activités esclavagistes de Ouidah, Badagri et Lagos, et activer la pénétration dans la zone du delta (Oil Rivers). Lagos est occupée en 1851, déclarée colonie en 1861 et agrandie d'annexions le long de la côte. En 1879, sir George Taubman Goldie organise l'United African Company, qui supplante rapidement les sociétés rivales, notamment françaises, et, nantie d'une charte royale, devient la Royal Niger Company. Elle administre les pays érigés en protectorat de Lagos au Cameroun et amorce la pénétration vers le nord en remontant le Niger.

Après la disparition de la Royal Niger Company (c'est alors qu'apparaît pour la première fois le nom de Nigeria dans les débats parlementaires), le protectorat des Oil Rivers passe sous la juridiction du Colonial Office. En 1906, joint à la colonie de Lagos, il devient colonie et protectorat du Nigeria du Sud, tandis qu'est créé un protectorat de la région Nord, confié à un jeune officier, Frederick Lugard (1858-1945). Les contours actuels sont à peu près déterminés, mais une campagne de pacification s'avérera nécessaire : occupation de Kano et de Sokoto en 1903, du Bornou en 1905, et des îlots d'insoumission demeureront jusqu'en 1920 sur le plateau de Jos et dans la vallée de la Bénoué.

3.3. Frederick Lugard : l'indirect rule et la fusion des protectorats du Nord et du Sud

Lugard, contraint de gérer un espace gigantesque avec peu de moyens et de personnels, choisit de s'appuyer sur les aristocraties locales. À partir de son expérience d'administrateur colonial, il théorise ce qui, a posteriori, est devenu l'indirect rule, la politique d'administration indirecte qui assoit l'autorité coloniale en se servant des autorités traditionnelles. Loin d'être le signe d'un respect pour les institutions existantes, c'est une méthode de colonisation. Les émirs musulmans n'ont guère de marge de manœuvre et il est fréquent que les Britanniques déposent un souverain peu docile et le remplacent par un individu à la légitimité très discutable.

Lugard obtint en 1912 du Colonial Office la généralisation du système, y compris dans des secteurs où il n'existait pas d'États territoriaux. En 1914, afin de faire reposer sur les territoires du Sud le coût de l'équipement du Nord, Lugard décrète l'« amalgamation » : les deux protectorats fusionnent sous sa direction au titre de gouverneur général ; la capitale est fixée à Lagos. En 1939, l'ex-protectorat du Sud est divisé en deux régions, l'Ouest et l'Est. Le système administratif fut démocratisé dans les années 1950 avec l'introduction de conseils de gouvernements locaux semi-élus. Un conseil exécutif de hauts fonctionnaires et un conseil législatif ouvert à des Africains furent nommés auprès du gouverneur général ; à partir de 1922, les membres, anglais ou africains, furent élus.

4. L'indépendance

4.1. Émergence du nationalisme nigérian

Les premières revendications nationlistes apparaissent dans les années 1920. Herbert Macaulay fonde en 1923 le premier parti politique nigérian, le Nigerian National Democratic Party (NNDP). Mais il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que le principe même de la colonisation soit remis en question. Le nationalisme nigérian se développe alors à l'initiative de partis politiques, de syndicats, de journaux, sous l'impulsion surtout d'Obafemi Awolowo dont l'Action Group tire ses soutiens les plus fidèles dans l'Ouest ; de Nnamdi Azikiwe dont le National Council of Nigeria and Cameroons (NCNC) est essentiellement implanté dans l'Est ; et, à partir de 1949, du saurdana (chef de guerre) du califat de Sokoto, Ahmadu Alhaji Bello, dont le Northern People's Congress (NPC) doit l'essentiel de ses suffrages à la région septentrionale. Les attentes sont variées chez les Ibos, alors que, chez les Yorubas, le désir d'autonomie interne puis d'indépendance est très rapidement affirmé. Les élites aristocratiques du Nord sont moint pressées.

4.2. Une fédération de trois États

Les effets de la Constitution de 1945, consacrant l'établissement d'une représentation parlementaire africaine, puis de celle de 1951 (Constitution Macpherson), qui introduit le suffrage universel et met sur pied un système de gouvernement représentatif à l'échelon régional et central, sont pratiquement bloqués par les tensions ethniques. La Constitution Lyttelton (1954) organise une fédération de trois États ayant leurs gouvernements et propose l'autonomie complète aux régions qui la demanderont. Elle est proclamée pour l'Est et l'Ouest le 8 août 1957, et pour le Nord seulement en mars 1959, l'indépendance de l'ensemble étant acquise le 1er octobre 1960.

Dès les élections de 1959 apparaît nettement la division tripartite du pays. Le chef du Northern People's Congress (NPC), qui remporte le plus grand nombre de sièges, Abubakar Tafawa Balewa, un Haoussa, devient Premier ministre fédéral ; N. Azikiwe, président du Sénat, puis, après l'indépendance, premier gouverneur général nigérian de la Fédération. Le 1er octobre 1963, tout en restant dans le Commonwealth, le Nigeria devient une république.

5. De la guerre du Biafra à la restauration de la démocratie

5.1. L'unité nigériane en crise

Depuis l'indépendance jusqu'aux années 1990, la vie politique nigériane est marquée par une succession de coups d'État qui portent des militaires au pouvoir. Les généraux sont des hommes du Nord, de confession musulmane ; sinon, ils servent les intérêts du Nord. La peur des élites du Nord d'être gouvernées par un homme du Sud ajoute à la méfiance contre le suffrage universel et contre les élites administratives yorubas ou igbos. Le Nord, où a scolarisation à l'occidentale a été peu développée, dispose de moins de cadres que les régions de l'Ouest et de l'Est.

En 1962, deux ans à peine après l'indépendance, les premiers signes d'instabilité politique se manifestent dans l'Ouest, où le chef historique des Yorubas, Obafemi Awolowo, est arrêté et condamné pour complot contre la sécurité de l'État et contre le Premier ministre. Peu après, la création d'une quatrième région, la région Centre-Ouest (ou Midwest), réampute la région Ouest de sa population non yoruba. Le 15 janvier 1966, en l'absence de N. Azikiwe, président de la République depuis 1963, un groupe d'officiers du Sud assassine le Premier ministre fédéral (Abubakar Tafewa Balewa), ainsi que les Premiers ministres du Nord (A. A. Bello) et de l'Ouest (Samuel Ladoke Akintola).

Le coup d'État échoue toutefois lorsque le général Johnson Aguiyi-Ironsi, chef d'état-major des forces armées et ibo, reprend le contrôle du pouvoir. En mai 1966, il supprime les quatre régions en proclamant la fin de la fédération au profit d'un État unitaire. L'animosité des populations du Nord contre les Ibos (qui constituent une grande partie des cadres de l'organisation administrative et économique du pays) débouche sur des émeutes sanglantes dans cette région ; le 22 juillet 1966, le général Aguiyi-Ironsi est assassiné par des officiers du Nord.

Les rebelles portent à la tête de l'État le général Yakubu Gowon, un chrétien originaire d'une minorité du Plateau, qui rétablit la fédération ; mais son arrivée au pouvoir ne calme pas l'agitation dans le Nord, où les massacres d'Ibos s'intensifient.

Le projet du gouvernement fédéral de diviser la région de l'Est, à majorité ibo, en trois États, privant les Ibos de débouché sur l'océan et des gisements pétrolifères découverts à partir de 1956, met le feu aux poudres. Le lieutenant-colonel Odumegwu Ojukwu, commandant cette région, déclenche la guerre de sécession du Biafra avec la proclamation d'indépendance de la République du Biafra, le 30 mai 1967. Celle-ci est soutenue en particulier par la Côte d'Ivoire, la Chine et la France (dont les principaux intérêts économiques se trouvent dans cette région), alors que le Royaume-Uni, les États-Unis et l'URSS se rangent du côté des autorités fédérales de Lagos. Cette guerre civile, déclenchée en juillet 1967 s'achève le 14 janvier 1970 par la capitulation des troupes biafraises ; elle provoque la mort de près de deux millions de morts, victimes de la famine et de la malnutrition.

Le général Gowon évite toutes représailles contre les Ibos et s'efforce de mener à bien la réconciliation nationale. Le Nord musulman reprend la tête de l'État, en juillet 1975, grâce à un putsch pacifique du général Murtala Ramat Mohammed ; celui-ci propose un plan de retour au pouvoir civil en 1979, mais il est assassiné en février 1976 lors d'une nouvelle tentative de putsch. Pour la première fois, un Yoruba, le général Olusegun Obasanjo, est alors appelé à la présidence du Nigeria ; il tente de casser la tripartition du pays en créant 12 puis 19 États (mars 1976), et décide en 1979 de rendre le pouvoir aux civils.

5.2. L'intermède démocratique et la présidence de Shehu Shagari (1979-1983)

Une nouvelle Constitution, de type américain, est élaborée et la IIe République instaurée. Mais c'est un nordiste, Alhaji Shehu Shagari, du National Party of Nigeria (NPN), qui sort vainqueur de l'élection présidentielle d'août 1979, face à O. Awolowo et à N. Azikiwe ; le NPN remporte également les élections législatives. Les partis politiques continuent à refléter les rivalités entre les grands groupes ethniques : le Unity Party of Nigeria (UPN) regroupe les Yorubas autour de O. Awolowo, le Nigerian People's Party (NPP) rassemble les Ibos autour de N. Azikiwe, et le NPN du président Shagari s'appuie sur les musulmans du Nord.

La corruption et la baisse des prix du pétrole au début des années 1980 freinent la politique de développement de l'agriculture engagée par le président Shagari et plongent le Nigeria dans la récession. Au début de 1983, le gouvernement, face au problème du chômage, décide d'expulser les travailleurs étrangers, provoquant l'exode massif de près de deux millions de Ghanéens, Béninois, Togolais, etc., et ternissant sérieusement l'image du pays. A. S. Shagari est réélu en août 1983 et les élections législatives et régionales qui suivent voient également la nette victoire du NPN, mais la corruption et les fraudes ont caractérisé ces scrutins. Le 31 décembre 1983, A. S. Shagari est renversé sans difficultés par quelques officiers supérieurs des forces armées, qui dénoncent la corruption du régime et son incapacité à sortir le pays de la crise économique.

5.3. Le retour aux dictatures militaires

Le général Muhammadu Buhari devient chef de l'État. Une réduction radicale des dépenses publiques est engagée, et de vastes campagnes sont organisées contre l'indiscipline, la fraude et le marché noir. En août 1985, le général Ibrahim Babangida, de confession musulmane, prend le pouvoir et, par une série de mesures libérales, parvient à relancer l'économie.

Afin de permettre le retour au pouvoir des civils, une Assemblée constituante (1988-1989) élabore une Constitution qui n'autorise que deux partis politiques : l'un de centre gauche, le Social Democratic Party (SDP), et l'autre de centre droit, le National Republic Convention (NRC). La capitale fédérale est tranférée à Abuja. L'administration militaire contrôle étroitement le processus de transition. Les élections législatives fédérales, en juillet 1992, sont largement remportées par le SDP. L'élection présidentielle, plusieurs fois reportée, se tient en juin 1993. C'est le candidat social-démocrate Moshood Abiola, un Yoruba musulman, homme d'affaires richissime, propriétaire d'un groupe de presse, qui semble devoir l'emporter, mais la perspective de l'arrivée au pouvoir d'un homme de l'Ouest inquiète les militaires du Nord, et le scrutin est annulé. Les États-Unis et le Royaume-Uni désapprouvent cette annulation, et, en août 1993, le général Babangida se retire, après avoir nommé un gouvernement d'union nationale, dirigé par un autre homme d'affaires, Ernest Shonekan. Dès novembre, les syndicats déclenchent une grève générale en faveur de Moshood Abiola.

5.4. La présidence du général Abacha (1993-1998)

Les militaires reprennent alors le pouvoir, sous la direction du général Sani Abacha, un musulman originaire de Minna, dans le Nord-Ouest ; les assemblées élues sont dissoutes et les partis politiques interdits. Mais un vaste mouvement d'opposition se met en place avec la formation en mai 1994 de la Coalition nationale démocratique (NADECO) qui soutient M. Abiola et boycotte la Conférence nationale constitutionnelle mise en place par le régime sous la pression des pays créanciers afin de permettre la remise du pouvoir aux civils. Ainsi que d'autres opposants à la junte, M. Abiola est arrêté en juin, et des grèves, surtout suivies dans l'industrie pétrolière, éclatent en juillet. En mars 1995, le régime annonce la découverte d'un complot et fait arrêter l'ancien chef de l'État, Olusegun Obasanjo, qui est condamné à 25 ans de prison.

En novembre 1995, neuf opposants du Mouvement pour la survie du peuple ogoni (MOSOP) – dont l'écrivain Ken Saro Wiwa –, qui réclamet un certain degré d'autonomie et proteste contre la dégradation de l'environnement par les sociétés pétrolières dans le delta du Niger, sont exécutés. Réprouvées par la communauté internationale, ces exécutions provoquent la suspension immédiate du Nigeria du Commonwealth. L'écrivain Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, qui s'est exilé à Londres, joint sa voix à celle de l'opposition. La junte militaire promet néanmoins des élections en 1998. En octobre 1996, elle annonce la création de six nouveaux États et autorise cinq partis politiques – tous partisans de la candidature du général Abacha à la présidence. La formation la plus ouvertement favorable au pouvoir, le parti du Congrès du Nigeria uni (UNCP), arrive largement en tête aux élections municipales et régionales de 1997, année durant laquelle se multiplient les arrestations de journalistes.

6. Le retour à la démocratie (depuis 1998)

La disparition inattendue du général Abacha, le 8 juin 1998, et celle, tout aussi brutale, de M. Abiola, le 7 juillet, à quelques jours de sa sortie de prison, modifient la donne. Le nouveau chef de l'État, le général Abdulsalam Abubakar, cherche alors à calmer les passions rallumées par la mort de l'homme d'affaires, à rassurer les investisseurs et l'opposition démocratique désabusée. Il promet de remettre le pouvoir à un président élu et engage rapidement un processus de démocratisation – avec la libération de prisonniers politiques, notamment le dirigeant islamiste Ibrahim Yaqub al-Zagzaki, la libéralisation de la presse et l'autorisation sous contrôle d'un certain nombre de partis politiques (un ensemble de règles est cependant mis en place afin d'écarter les partis séparatistes des principaux scrutins).

6.1. Le retour d'Olusegun Obasanjo (1999-2007)

À partir de décembre 1998, les élections se succèdent (municipales, régionales et législatives), la série s'achevant fin février 1999 par une élection présidentielle. Revenu dans le civil, l'ancien général Olusegun Obasanjo, dont le parti démocratique du Peuple (PDP) est arrivé en tête des trois élections, sort victorieux de ce dernier scrutin (avec 63 % des voix), entaché par de nombreuses irrégularités. Une nouvelle Constitution, conçue par le régime militaire sortant, instaure un régime présidentiel fort tout en dotant le Parlement de larges prérogatives législatives.

En 2003, à l'issue des élections parlementaires du 12 avril – les premières à être organisées par un pouvoir civil au Nigeria depuis vingt ans –, le PDP conserve la majorité dans les deux chambres fédérales. Le chef de l'État est proclamé vainqueur du scrutin présidentiel du 19 avril avec 61,9 % des voix devant l'ex-dictateur Muhammadu Buhari, son principal rival, crédité de 33 % des suffrages. L'opposition et les observateurs internationaux dénoncent de nombreuses irrégularités.

Depuis 2005, le delta du Niger est le théâtre d'attaques répétées de groupes armés (le principal d'entre eux étant le Mend, le Mouvement d'émancipation du delta du Niger) pratiquant l'enlèvement contre rançon de personnels des compagnies pétrolières étrangères et le sabotage d’installations. À l’instar du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (qui, lui, est non violent), le Mend se fait le porte-parole des exigences de la communauté ijaw, qui revendique une meilleure redistribution des recettes tirées de l’exploitation du pétrole aux régions productrices qui en subissent massivement les dommages.

Au plan international, le Nigeria, qui a fourni la majeure partie des effectifs de l'ECOMOG, la force d'intervention de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), a contribué à mettre fin aux guerres civiles au Liberia et en Sierra Leone. Le contentieux frontalier à propos de la presqu'île de Bakassi, qui l'opposait au Cameroun, est en grande partie réglé par l'accord de Greentree (juin 2006) par lequel la presqu'île est officiellement rétrocédée au Cameroun.

6.2. Umaru Yar'Adua et Goodluck Jonathan (2007-2015)

Conformément à la Constitution limitant le nombre de mandats présidentiels, Olusegun Obasanjo renonce à se représenter en 2007. Mais il pèse de tout son poids dans l'élection, en avril, d'Umaru Musa Yar'Adua (PDP), gouverneur de l'État de Katsina (Nord) et de son colistier, Goodluck Jonathan, gouverneur de l'État de Bayelsa. Les perdants, le général Muhammadu Buhari, présenté par All Nigeria Peoples Party (ANPP), et le vice-président Atiku Abubakar, contestent tous deux le résultat et en réclament l’annulation. En vain. Lors des élections législatives, entachées de fraudes et de violences, le PDP enlève la majorité des sièges de gouverneurs et de parlementaires.

Héritier d'une grande dynastie aristocratique du Nord du pays, Umaru Musa Yar'Adua engage des réformes. Certaines d'entre elles – notamment la lutte contre la corruption dans le secteur bancaire et la refonte du secteur pétrolier – sont jugées hostiles par les alliés de son parrain, Olusegun Obasanjo. Mais surtout, il ne peut les mener à bout en raison de son absence prolongée pour raisons de santé (de novembre 2009 à février 2010), puis de son décès, survenu le 6 mai 2010.

Le vice-président Goodluck Jonathan, un chrétien ijaw, est investi par le Parlement président en exercice depuis février 2010 au terme d'une lutte d'influence qui affaiblit les institutions. Il s'impose à la tête de l'État en dissolvant le gouvernement (17 mars) puis en limogeant le conseiller national à la sécurité et le ministre de la Justice. Le 16 avril 2011, Goodluck Jonathan remporte l'élection présidentielle avec 57 % des voix et s’impose notamment dans les régions à dominante chrétienne du Sud, contre 31 % à Muhammadu Buhari qui remporte le plus de voix dans les États majoritairement musulmans du Nord. Le scrutin se déroule sur fond de violence, des affrontements entre communautés et entre partisans des deux candidats éclatant après la proclamation des résultats, dans plusieurs États du Nord où ils sont contestés.

Tensions religieuses, ethniques et sociales

Originaire du delta du Niger, soutenu par les associations fondatrices de l’ONG United Niger Delta Energy Development and Security Strategy (Undedss), Goodluck Jonathan doit ramener la paix dans cette région du Sud. Alors qu’un rapport des Nations unies (août 2011) révèle l’étendue et la gravité de la pollution du pays Ogoni due à l’exploitation du pétrole, les mesures compensatoires tardent à voir le jour ou à produire leurs effets malgré l’existence, depuis 2000, d’une Commission de développement du Delta du Niger (NDDC). Si le programme d’amnistie appliqué depuis 2009 permet d’obtenir une paix précaire dans la région avec le désarmement et la réintégration d’anciens combattants du Mend, une distribution plus équitable de la rente pétrolière – condition d’une stabilité durable – se heurte aux intérêts établis dans un secteur encore très opaque et marqué par une corruption profonde, en dépit des progrès réalisés depuis l’adhésion du Nigeria à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE/EITI) en 2007.

Depuis le début des années 2000, la ville de Jos, dans le centre du pays, est particulièrement touchée par la violence. Celle-ci est le fruit d’un conflit endémique entre communautés considérées comme originaires (Beroms notamment), pour la plupart de confession chrétienne, et celles (Haoussas et Peuls) plus récemment installées, et en majorité musulmanes. Moins religieuses que sociales, les violences perpétrées de part et d’autre – alors que la cohabitation est préservée dans certains quartiers – renvoient aux conflits plus structurels portant sur l’accès au travail, à l’éducation ou, dans d’autres régions, à la terre, et soulèvent la question des fragiles équilibres ethniques au Nigeria et de leur utilisation à des fins politiques.

Sous la menace de Boko Haram

Par ailleurs, apparue au début des années 2000, une secte islamiste baptisée Boko Haram (de « book » en pidgin et « interdit » en arabe), radicalisée depuis la mort de son chef Mohamed Yusuf tué par les forces de l’ordre en 2009, resurgit et lance des attaques meurtrières dans le nord-est du pays. Rejetant l’occidentalisation « pervertie » du Nigeria et plus particulièrement son système d’éducation, elle exige une application plus stricte de la charia dans les États majoritairement musulmans du Nord. Ce groupe radical, qui recrute ses membres dans les milieux pauvres de la région de Maiduguri (capitale de l'État de Borno), est à l’origine d’une vague d’attentats, notamment contre les quartiers généraux de la police et des Nations unies en juin et août 2011 à Abuja, puis, le 25 décembre dans une église de la périphérie de la capitale qui fait une trentaine de morts.

La persistance de la violence, visant aussi bien les civils (écoles, commerces…) que les forces de l’ordre, conduit, parallèlement à l’intensification de la répression, à la prolongation de l’état d’urgence (décrété en mai) en novembre 2013 dans les États de Borno, Yobe et de l’Adamaoua. Au même moment, accusés d’être liés à al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Boko Haram ainsi qu’Ansaru – une branche dissidente de la secte active depuis 2012 – sont inscrits par le département d’État américain sur sa liste des organisations terroristes.

À partir de 2014, le groupe islamiste intensifie son emprise sur des portions de plus en plus étendues du nord-est du pays, le nombre de ses victimes ne cessant d’augmenter. Ses campagnes de terreur font près de 8 000 morts (contre environ 600 en 2011 et 3 000 en 2013), entraînant d’importants déplacements de populations : le nombre de personnes ayant dû fuir ses attaques depuis mai 2013 est estimé à 1,5 million. En avril, plus de 200 lycéennes sont enlevées à Chibok. En août, imitant l’« État islamique » autoproclamé en Syrie et en Iraq, Boko Haram instaure son propre « califat » dans les territoires dont il se rend maître et poursuit ses offensives à la faveur de la désorganisation et des défaillances de l’armée nigériane.

En janvier 2015, sa violence se déchaîne avec de nouveaux massacres, ses forces étendant par ailleurs leurs opérations dans l’extrême nord du Cameroun et aux frontières avec le Niger et le Tchad. À quelques semaines des élections générales. Des opérations militaires sont ainsi déclenchées par ces quatre États contre les positions de Boko Haram qui fait allégeance à l’« EI » en mars.

6.3. Muhammadu Buhari (2015-)

La victoire sans appel, avec plus de 52 % des voix, de M. Buhari à l’issue de l’élection présidentielle de mars 2015 constitue la première alternance politique depuis le retour à la démocratie en 1998-1999. Cet ancien officier putschiste a été choisi comme candidat par la nouvelle coalition des principaux partis d’opposition formée en février 2013 sous le nom de All progressives Congress (APC) en vue de chasser le PDP du pouvoir. Originaire de l’État de Katsina, dans le nord du pays, et musulman, il choisit comme vice-président Yemi Osinbajo, un chrétien du Sud, issu de l’ethnie yoruba, et s’efforce de dissiper ses prises de position passées en faveur de l’application de la charia. Le nouveau président s’engage surtout à renforcer le dispositif de lutte contre le mouvement Boko Haram. Outre ce défi, parmi ses priorités les plus affichées figurent la lutte contre la corruption – dont la prégnance contribue par ailleurs à l’inefficacité de la répression contre le terrorisme –, ainsi que le développement plus équilibré d’un pays devenu la première puissance économique du continent africain devant l’Afrique du Sud, mais dont la croissance tend à s’essouffler.

L’APC, à laquelle se sont ralliés de nombreux caciques du PDP sortant, s’impose également aux élections législatives (196 sièges sur 336), sénatoriales (60 sièges sur 108) et à celle des gouverneurs (19 États sur les 29 en lice), le PDP conservant notamment le contrôle de l’État pétrolifère de Rivers dans le Sud. Le 29 mai, le nouveau président entre en fonctions.

Premier mandat

La lutte contre le mouvement Boko Haram enregistre certains succès (avec notamment la libération d’une partie des lycéennes de Chibok, en 2017) mais le nord-est du pays est encore loin d’être pacifié : les enlèvements se poursuivent, le nombre de réfugiés dans les pays voisins (Niger et Cameroun surtout) continue de croître (d’environ 19 000 en juillet 2014 à plus de 270 000 en mars 2019) tandis que celui des déplacés internes est estimé par le HCR à près de 2 millions. Y contribue également l’aggravation des conflits entre éleveurs nomades et agriculteurs dans le centre et l’est du pays (États de Benue, Plateau, Adamawa, Nassarawa et Taraba notamment) plus meurtriers encore que l’insurrection islamiste avec près de 3 000 morts en 2017-2018. Par ailleurs, l’État de Zamfara (nord-ouest) connaît également une aggravation du banditisme né des affrontements entre paysans et bergers depuis 2012.

Fruit de la détérioration des conditions climatiques, de la désertification et de l’insécurité poussant les éleveurs du nord vers le sud à la recherche de pâturages, cette violence endémique – entretenue par des milices armées – incite le gouvernement fédéral à lancer un « plan national de transformation du cheptel » (2018-2027) prévoyant notamment une difficile transition du pastoralisme à l’élevage.

Sur le plan économique, le Nigeria est directement atteint par la chute du prix du pétrole en 2014-2015 et connaît une récession en 2016 avant une faible reprise à partir de l’année suivante avec la remontée des cours. Mais celle du secteur non pétrolier reste insuffisante pour réduire un chômage, estimé en 2018 à près du quart de la population active, et le sous-emploi (20 %). Les inégalités sociales et territoriales se sont creusées malgré l’adoption d’un nouveau programme de redressement (Economic Recovery and Growth Plan, 2017-2020) dont les premiers résultats restent encore modestes.

De plus, la réforme du secteur pétrolier est reportée à la suite du refus du président Buhari de signer en l’état la « loi sur la gouvernance de l’industrie pétrolière » adoptée par les deux chambres en 2017-2018. Quant au programme anti-corruption du président – critiqué pour être politiquement biaisé –, il se traduit par plus de 900 condamnations selon la Commission sur les crimes économiques et financiers. Reconnus par Transparency International, les progrès réalisés restent cependant encore maigres au regard de l’ampleur du phénomène.

Second mandat

Malgré un bilan mitigé, le président sortant est réélu en février 2019 avec 55,6 % des voix devant son adversaire Atiku Abubakar, candidat du PDP, ancien vice-président d’O. Obasanjo et également originaire du nord, qui obtient 41,2 % des suffrages.

Recueillant environ le même nombre de voix qu’en 2015 (autour de 15 millions), M. Buhari s’impose nettement dans les États du nord tandis que son adversaire le devance dans la plupart de ceux du sud. Toutefois, l’organisation du scrutin (retardé) est contestée et la participation est très faible, reculant de 42 % à 33 % au niveau national. Elle est particulièrement basse dans le sud du pays (notamment dans les États de Lagos et de Rivers), tandis qu’elle est la plus élevée dans les États septentrionaux de Sokoto, Katsina et Jigawa. L’APC remporte également une majorité absolue de sièges à la Chambre des représentants comme au Sénat. La bataille entre les deux partis dans les États (29 sur 36) est plus serrée, l’APC et le PDP remportant respectivement 15 et 14 postes de gouverneurs.

Culture Nok, tête en terre cuite
Culture Nok, tête en terre cuite
Ife, buste d'un roi ou « Oni »
Ife, buste d'un roi ou « Oni »
Ife, tête de femme
Ife, tête de femme
Nigeria, tête en bronze
Nigeria, tête en bronze
Olusegun Obasanjo
Olusegun Obasanjo
Umaru Musa Yar'Adua
Umaru Musa Yar'Adua