L'organisation de l'islam en France, un objectif poursuivi par les pouvoirs publics depuis une quinzaine d'années, est devenue une réalité en 2003 avec la création du Conseil français du culte musulman.

L'organisation du culte musulman en France

Solenn de Royer
Journaliste à la Croix

En 1806, Napoléon avait réuni les notables juifs et les avait enjoints de s'entendre pour créer le Consistoire israélite français. Le Consistoire existe toujours aujourd'hui, aux côtés de la Conférence des évêques français ou de la Fédération des protestants de France. Jusqu'à présent, les musulmans étaient les seuls à ne pas disposer d'instance de représentation qui leur permette, au même titre que les autres religions, de bénéficier du libre exercice du culte tel qu'il est garanti par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État. La création d'une telle instance, visant à l'organisation de l'islam de France, est un objectif qu'ont inlassablement poursuivi les pouvoirs publics ces quinze dernières années.

Un islam de plus en plus visible

La France compte entre trois et cinq millions de musulmans, ce qui fait de l'islam la deuxième religion du pays. L'arrêt officiel de l'immigration de travail en 1974 et l'intensification des politiques de regroupement familial ont contribué à rendre irréversible l'enracinement des immigrés. Parallèlement, les musulmans ont évolué dans leur manière de concevoir et de pratiquer leur religion : si « les pères » de la première génération de l'immigration pratiquaient dans la discrétion (ils pensaient être de passage dans une société d'accueil qu'ils ne voulaient pas choquer), ce n'est plus le cas de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, qui revendiquent une double identité : Français et musulmans. Autrefois cantonné dans la sphère privée, l'islam s'inscrit donc désormais dans l'espace public. Durant les années 1980, la multiplication des signes de la pratique religieuse témoigne de cette évolution : l'islam, en France, devient visible. Parallèlement, la loi de 1981 qui facilite la création d'associations consacre l'émergence de multiples associations musulmanes, qui sont toujours plus actives, tant sur le plan culturel que cultuel. Souvent sollicité, l'État doit répondre aux revendications des musulmans concernant le port du voile à l'école ou dans l'Administration, la nourriture halal dans les cantines scolaires ou la construction de carrés musulmans dans les cimetières. La demande croissante de lieux de culte incite le gouvernement à poser la question du statut juridique du culte musulman et de l'application à l'islam de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État.

Une communauté musulmane divisée

En 1990, Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur, crée donc le Conseil de réflexion sur l'islam en France (CORIF), une sorte de conseil de sages regroupant quinze membres choisis par le ministre ou cooptés. Ces responsables associatifs, universitaires ou hauts fonctionnaires de culture musulmane sont chargés de faire des propositions aux pouvoirs publics. C'est par exemple à l'initiative du CORIF qu'ont été créés les premiers carrés musulmans dans les cimetières (circulaire de février 1991). Mais le CORIF n'est pas en mesure de jouer le rôle d'entité représentative des musulmans de France. Or, il s'agit toujours pour les pouvoirs publics de trouver des interlocuteurs légitimes au sein d'une communauté musulmane divisée, éclatée en une quinzaine de nationalités d'origine (Maghreb, Turquie, Afrique noire) et une multitude de chapelles associatives. Dès son arrivée place Beauvau en 1993, Charles Pasqua change de politique. Il abandonne le CORIF au profit d'un soutien inconditionnel à la Mosquée de Paris (financée par l'Algérie), avec l'espoir d'imposer son recteur comme l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. La Mosquée de Paris ouvre ainsi en 1994 un institut de formation des imams (en 1990, sur 500 imams recensés, 4 % seulement sont citoyens français et la plupart ont été formés à l'étranger !). C'est un échec. L'institut cesse rapidement son activité, faute de subvention et en raison du coût de ses formations. En 1995, Dalil Boubakeur tente également de mettre sur pied une fragile coordination nationale des musulmans de France. In fine, les pouvoirs publics ne parviennent pas à faire de la Mosquée de Paris un pôle de rassemblement.

J.-P. Chevènement lance l'« istichara »

En 1999, Jean-Pierre Chevènement change de méthode et lance une « consultation des représentants des principales sensibilités musulmanes sur l'organisation du culte islamique en France ». À cette consultation (en arabe, istichara) sont associées les grandes fédérations – Mosquée de Paris, Union des organisations islamiques de France (UOIF, proche des Frères musulmans), la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF, à dominante marocaine), le mouvement missionnaire du Tabligh –, les grandes mosquées pilotées par l'étranger – Évry, Mantes-la-Jolie, Lyon, Marseille et Saint-Denis de la Réunion –, ainsi que des personnalités « qualifiées », choisies pour leurs compétences. Les Turcs, d'abord réticents, viendront se joindre au processus, ainsi que les Africains.