Entrée en vigueur le 1er juillet 2002, la Cour pénale internationale est la première juridiction permanente compétente pour juger les responsables de crimes internationaux. Elle s'est mise au travail au printemps 2003, mais saura-t-elle convaincre les États de l'aider à rendre la justice ?

Les difficiles premiers pas de la CPI

Benjamin Bibas et Emmanuel Chicon

Sise à La Haye (Pays-Bas), la Cour pénale internationale (CPI) est la première juridiction permanente compétente pour juger les responsables de génocide, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre commis depuis le 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur du Statut de Rome. Ce texte, fondateur de la CPI, a été signé en 1998 par 139 États. Au printemps 2002, ils étaient 60 à l'avoir ratifié, chiffre minimal pour que la Cour soit créée. Fin 2003, les États parties à la Cour étaient désormais 92, se répartissant entre les pays du Sud, surtout africains et latino-américains, et le vieux Continent, dont la totalité des 25 membres de l'Union européenne.

Géographiquement, la Cour est donc loin d'être universelle : ni la Chine, ni la Russie, ni les États-Unis, pour ne citer que les États les plus puissants, ne sont parties au Statut de Rome. L'universalité de la CPI n'est pas davantage juridique. Sa compétence est limitée aux crimes commis sur le territoire des États parties au Statut ou par leurs ressortissants, sauf à être saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies.

Droit d'ingérence

La Cour n'en est pas moins devenue opérationnelle au cours du premier semestre 2003. L'Assemblée des États parties, organe politique qui encadre le fonctionnement de la Cour et vote son budget (53 millions d'euros en 2004), a d'abord élu ses dix-huit juges, dont l'origine géographique représente la diversité des traditions juridiques du globe. Puis les magistrats ont nommé à leur tête le Canadien Philippe Kirsch, devenu président de la CPI. Pour le procureur, en charge de la politique des poursuites, le choix de l'Assemblée s'est porté sur l'Argentin Luis Moreno Ocampo. Le greffe, enfin, a été confié au Français Bruno Cathala, qui doit notamment mettre en place une division d'aide aux témoins et aux victimes ainsi qu'un Barreau pénal international.

Selon Philippe Kirsch, la CPI entend devenir un instrument de prévention des conflits. Héritière des tribunaux internationaux, depuis Nuremberg jusqu'à ceux qui ont vu le jour dans les années 1990 (voir encadré), la Cour consacre la responsabilité pénale individuelle et récuse l'immunité des chefs d'État ou des ministres devant les crimes imprescriptibles qui relèvent de sa compétence. La Cour est également contemporaine de l'avènement d'un nouvel ordre mondial censé reposer sur le « droit d'ingérence », qui selon l'expression de Bernard Kouchner, cofondateur de Médecins sans frontières, doit s'opposer à « la théorie archaïque de la souveraineté des États, sacralisée en protection des massacres ». Aussi le Statut de Rome institutionnalise-t-il, pour la première fois, le rôle des organisations non gouvernementales (ONG), qui ont activement soutenu la création de la CPI et dont les rapports pourront inspirer les investigations du procureur. Corrélativement, et c'est une autre innovation majeure, la Cour octroie aux victimes le droit de participer à la procédure dès le stade de l'enquête et celui d'être indemnisées.

La résistance des États-Unis

Porteuse d'avancées indéniables, la CPI doit d'ores et déjà surmonter plusieurs obstacles. À commencer par la « guerre » que les États-Unis mènent actuellement contre une institution qu'ils estiment potentiellement hostile à leurs intérêts. Le président américain George W. Bush s'est empressé d'annuler la signature du Statut de Rome de son prédécesseur : les Américains ont toujours plaidé pour une Cour placée sous le contrôle exclusif du Conseil de sécurité de l'ONU. Ils n'acceptent pas que celle-ci puisse également être saisie par un État partie ou par le procureur, et refusent tout autant que la compétence de la CPI s'étende territorialement aux crimes commis par des individus non ressortissants des pays ayant ratifié. En outre, l'Assemblée des États parties doit, au cours d'une conférence de révision programmée en 2009, intégrer au Statut de Rome le crime d'agression, perspective qui ne peut que gêner une administration américaine adepte de la « guerre préventive ».