Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Un vote de routine pour Poutine

C'est sans surprise que le parti du président Vladimir Poutine, Russie unie, a remporté une large victoire aux élections législatives du 7 décembre, qui lui assure une majorité absolue à la Douma.

Un scrutin sans surprise, donc. Si les communistes apparaissent en net recul, ils représentent toutefois la seule véritable opposition, les libéraux n'ayant pu avoir accès à la Douma. Couronnant une campagne aux accents nationalistes, sur fond de guerre contre le terrorisme tchétchène, puis contre les oligarques, cette victoire permet à Poutine d'aborder avec sérénité les présidentielles de mars 2004 et confirme la dérive autoritaire du pouvoir en Russie.

80 % d'opinions favorables

C'est peu d'écrire que la personnalité du président Poutine aura été déterminante dans la victoire de son parti, Russie unie, principale formation désormais d'une Douma monolithique acquise dans sa grande majorité au maître du Kremlin. Au zénith de sa popularité, avec plus de 80 % d'opinions favorables selon les sondages, le président russe est en effet le seul véritable vainqueur de ce scrutin législatif, le quatrième de l'ère post-soviétique, qui, pour la première fois, octroie au Kremlin une majorité constitutionnelle lui permettant d'exercer son contrôle absolu sur la Douma. Au point que la question qui se pose désormais est moins celle d'un deuxième mandat de Poutine, quasi assuré, que celle d'un troisième, auquel il pourrait postuler à l'horizon 2008 pour peu qu'il modifie la Constitution à cet effet. M. Poutine en a les moyens, et Russie unie, née de l'alliance de petites formations centristes juste avant les précédentes législatives de 1999, ne peut les refuser à celui sans lequel elle n'existerait sans doute pas. C'est à l'image de force incarnée par Poutine que cette formation doit d'avoir fait sa percée à la Douma, en recueillant 36,7 % des voix au scrutin de liste proportionnel, qui détermine la moitié des sièges de la Chambre basse. Habile tacticien, toujours soucieux du culte de sa personnalité, qui ne saurait se compromettre sous une seule étiquette politique ni même avec un gouvernement dont il prend soin de se désolidariser, l'utilisant volontiers comme le bouc émissaire des promesses non tenues, Poutine avait joué une carte tout aussi nationaliste, en encourageant la promotion d'un autre parti, Rodina (Patrie), qui a créé la surprise en obtenant 9 % des voix. Une telle orientation ne pouvait que profiter au LDPR (Parti libéral démocrate de Russie) du trublion populiste et ultranationaliste Vladimir Jirinovski, qui se refait une santé en obtenant 11,8 % des voix, soit deux fois plus qu'en 1999, et devient la troisième formation de la Douma, juste derrière le Parti communiste (KPRF), en net recul. Avec 12,7 % des voix, le parti de Guennady Ziouganov incarne désormais seul à la Douma une opposition qui n'a plus qu'une poignée de représentants « libéraux », démocratiques et pro-occidentaux, le parti labloko de Gregory Iavlinsky et l'Union des forces de droite (SPS) de Boris Nemtsov, laminés, n'ayant pu atteindre la barre des 5 % donnant accès à la Chambre basse.

Un nationalisme de guerre

Le Parti communiste est donc le grand perdant d'un scrutin qui a pourtant confirmé la nostalgie de l'électorat russe pour un empire soviétique défunt dont il se proclame l'héritier idéologique, militant à ce titre pour sa reconstitution. Mais s'il s'est reconverti au nationalisme, au prix parfois de compromissions dans des alliances « brun rouge », le PC reste attaché à une idéologie marxiste-léniniste qui ne fait guère recette dans une société russe où le débat politique est d'une manière générale frappé de discrédit. Les communistes, enfin, n'ont pas échappé à la règle qui préside aux mœurs politiques russes, et, en se laissant tenter eux aussi par des alliances conjoncturelles avec les milieux d'affaires, ils ont brouillé un peu plus leur image. Élevé à l'école du KGB, le président Poutine et ses partisans étaient mieux à même de gérer ce fonds de commerce nationaliste, dépouillé de ses oripeaux idéologiques, qui reprenait sans vergogne les attributs de l'empire soviétique, à commencer par l'hymne national, réhabilité en 2000. Pour parvenir à ses fins, le président Poutine dispose de toutes les ressources de l'administration, ces fameuses « ressources administratives », formule elliptique qualifiant les abus de pouvoir qui lui ont permis de renforcer son emprise sur une scène politique prenant l'allure d'un vaste champ de bataille. Se donnant pour mission de restituer son honneur et sa dignité à une Russie trop longtemps humiliée depuis la chute de l'URSS, et adulé pour cela par une grande partie de la population malgré les difficultés économiques, Poutine exerce le pouvoir comme un général commande ses troupes. Les précédentes législatives avaient été remportées sur la promesse de venir à bout des rebelles tchétchènes ; malgré le simulacre d'élections qui ont placé au pouvoir à Groznyï un fidèle du Kremlin en octobre, la promesse n'a pas été tenue si l'on en juge à la recrudescence des attentats attribués aux kamikazes tchétchènes. Mais le président russe, fort de la caution internationale pour une guerre contre le terrorisme dont il se proclame le précurseur, est passé à une autre guerre, visant à mettre au pas cette fois les oligarques russes dont la toute-puissance financière et les ambitions politiques persistantes menaçaient la « verticale du pouvoir » exaltée par le Kremlin. Entre-temps, le Kremlin avait mené une autre guerre contre les médias indépendants, s'assurant le contrôle du processus électoral. Constatant l'usage intensif de l'appareil d'État et le favoritisme des médias ayant permis la victoire du parti présidentiel, les observateurs de l'OSCE chargés de superviser le scrutin dénonceront une « régression » de la démocratie. Défendant l'honneur blessé de la patrie, Poutine y verra au contraire « un nouveau pas dans le renforcement de la démocratie en Russie ».