Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Christine Malèvre, une infirmière seule face à ses juges

En juillet 1998, l'hôpital de Mantes-la-Jolie se voyait propulsé au cœur du débat sur l'euthanasie, dont allait devenir le porte-étendard l'une de ses infirmières, Christine Malèvre, qui reconnaîtra avoir aidé plusieurs de ses patients à mourir.

Depuis, desservie par une médiatisation excessive et des rapports psychiatriques, l'égérie de la cause de l'euthanasie est apparue comme une « tueuse en série » devant répondre de 7 « assassinats » devant le tribunal de Versailles le 20 janvier. Cette évolution pèsera lourdement dans le verdict des jurés qui la condamnent à dix ans de réclusion criminelle le 31 janvier.

Une personnalité ambiguë

Pourquoi et comment Christine Malèvre, jeune infirmière modèle, en est-elle venue à ôter la vie à plusieurs de ses patients, auxquels elle a par ailleurs prodigué, de l'avis de ses collègues, des soins d'une qualité exemplaire, pendant les presque trois années passées au service de neuropneumologie de l'hôpital de Mantes-la-Jolie où elle avait été affectée en août 1995 ? Près de cinq ans après qu'a éclaté l'affaire Malèvre, la question n'a cessé de hanter les familles des victimes présumées de l'infirmière, qui se sont portées parties civiles dans le procès qui a débuté le 20 janvier devant la cour d'assises de Versailles. Et les diagnostics, divers, sinon contradictoires, des experts psychiatriques ne semblent pas avoir apporté de réponses satisfaisantes à ces interrogations. Malgré tous ses efforts oratoires, l'avocat n'a pu obtenir du jury qu'il concentre son attention « sur le geste et non sur la personne qui le fait », si bien que la personnalité de sa cliente et les troubles mécanismes psychiques qui l'ont conduite jusqu'au banc des accusés ont dominé toutes les interventions, éclipsant le débat sur l'euthanasie dont l'ex-infirmière avait été présentée comme le porte-étendard. Et les jurés de Versailles, refusant, sur les recommandations du parquet, de se laisser entraîner sur le terrain de l'euthanasie, ont jugé la personne avec sévérité, la condamnant à dix ans de réclusion criminelle et à une interdiction définitive d'exercer sa profession d'infirmière.

Disséquée par les différents rapports des experts psychiatriques, la personnalité ambiguë de l'accusée a relégué à l'arrière-plan de ce procès la cause que certains prétendaient lui faire défendre. Et la médiatisation de cette affaire, devenue emblématique d'un débat public sur l'euthanasie encore très vif à l'époque, aura plutôt nui à Christine Malèvre, qui s'est exposée avec trop de complaisance aux projecteurs de l'actualité, au point de brouiller son image d'infirmière compatissante cherchant à soulager des malades incurables.

« L'ange de la mort »

Depuis ce jour du 6 mai 1998 où elle a été démasquée et suspendue de ses fonctions par la direction de l'hôpital de Mantes-la-Jolie, qui saisissait dans le même temps le procureur de la République de Versailles de la multiplication suspecte de décès dans son service, l'infirmière s'est en effet enferrée dans des déclarations contradictoires qui devaient compromettre sa ligne de défense, fluctuant au gré des rapports psychiatriques mais aussi de l'image publique que ses apparitions et interventions médiatiques ont contribué à lui façonner. Si elle s'est dévoilée devant l'opinion dans son témoignage télévisé en septembre 1998, puis en mars 1999 dans son livre Mes aveux, sous les traits d'une infirmière zélée mais à la personnalité fragile et tourmentée, à ce point sensible aux souffrances de ses malades qu'elle voudra les abréger, cette image tend à se fissurer au fil de la procédure judiciaire, qui révèle des failles dans la compassion militante affichée. Si nul ne conteste la fragilité de Christine Malèvre, soumise à rude épreuve au contact de malades en fin de vie et illustrée par sa tentative de suicide le soir même où elle a été confondue, le nombre de morts suspectes examinées par la justice et le comportement de l'accusée face à la gravité de son geste tendent à la transformer en « ange de la mort », voire en tueuse en série, présumée coupable, selon une déclaration du juge du 16 juin 1999, d'« assassinats » dont le nombre reste à déterminer. Lors de ses premiers interrogatoires, elle admet avoir ainsi accéléré la mort d'une trentaine de patients, dont une vingtaine sans leur consentement, pour ensuite se rétracter et ne reconnaître que « quatre cas d'euthanasie active ». Mais les témoignages s'accumulent, soulignant la fréquence inhabituelle des décès dans l'hôpital de Mantes-la-Jolie quand l'infirmière y exerçait, et recoupant les expertises psychiatriques, qui brossent un tableau accablant pour Christine Malèvre : celle-ci aurait été animée d'une « fascination morbide pour la maladie » doublée d'une hyperidentification à autrui et à sa souffrance qu'elle a abrégée de façon « préméditée », même si elle n'éprouvait aucun plaisir à donner la mort. Mais, malgré une dernière expertise psychiatrique plus nuancée qui reconnaîtra à l'accusée une propension à la compassion, le dossier ne relève déjà plus du débat sur l'euthanasie quand il parvient devant le tribunal, où Christine Malèvre est desservie par un ego démesuré jusque dans la compassion et qui, jusqu'au bout, la fera s'apitoyer sur elle-même sans parvenir à exprimer de remords face aux familles des victimes. L'absence manifeste d'émotion dont elle fera preuve sur le banc des accusés n'incitera guère à la clémence les jurés, qui la reconnaîtront coupable de 6 des 7 assassinats dont elle est accusée, malgré les incertitudes concernant les circonstances exactes ayant entraîné la mort de ces patients parmi lesquels Christine Malèvre reconnaissait n'en avoir aidé que deux à mourir. Une froideur que le jury ne lui pardonnera pas, aussi sincères que puissent paraître les efforts de réinsertion de Christine Malèvre, étalés en couleurs dans l'hebdomadaire Paris Match où on la voyait aux côtés de son compagnon quelques jours avant le verdict. Un instant volé d'un bonheur et d'un amour retrouvés dont la justice a tenu à priver cette « voleuse de temps et d'amour ».