La réforme de la PAC

L'enjeu était de taille : réformer la politique agricole commune (PAC), qui, avec 43 milliards d'euros, représente à elle seule la moitié du budget communautaire de l'Union européenne.

Au terme de trois semaines de négociations souvent houleuses, les ministres de l'Agriculture des Quinze sont parvenus le jeudi 26 juin à un accord qui doit entrer en vigueur dès janvier 2005. Présentée par la Commission européenne en juillet 2002, la réforme fait écho aux récriminations des pays en voie de développement concernant les distorsions de la concurrence. Elle devrait permettre de glisser d'un modèle d'agriculture productiviste à une approche plus écologique et qualitative en entérinant notamment le principe de découplage des aides financières du volume de la production (versement d'un paiement unique aux exploitations, indépendamment des quantités et des denrées produites). Ces aides seraient désormais conditionnées au respect de critères environnementaux, sanitaires et sociaux. Seul le Portugal, opposé au volume des quotas de lait pour les Açores, continuait à s'opposer à l'accord au lendemain de sa signature.

« Une nouvelle ère pour l'agriculture européenne »

Cette phrase, prononcée par le commissaire européen à l'Agriculture Franz Fischler, résume la portée de cet accord. L'Europe, accusée d'inonder les marchés avec ses surplus agricoles bon marché, envoie un signe fort aux États-Unis à la veille du sommet de l'Organisation mondiale du commerce qui doit se tenir en septembre à Cancún (Mexique) et où seront débattus les soutiens agricoles et les droits de douane. « L'UE a fait son devoir, c'est maintenant aux autres d'avancer », a lancé F. Fischler, laissant entendre que la balle était désormais dans le camp américain. Alors que les États-Unis, le Canada et l'Australie reprochaient au système actuel (plus forte est la production, plus importantes sont les subventions) de dégager des surplus, écoulés à perte sur les marchés étrangers et créant du même coup une concurrence déloyale, l'accord réussit à réconcilier les pays attachés au système des subventions (comme la France, principale bénéficiaire de la PAC) et les partisans de la réforme rangés derrière la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Néanmoins, les représentants des ONG, défenseurs des pays en voie de développement, ont tenu à tempérer la portée des changements, déplorant que l'agriculture européenne continue à être en partie subventionnée. Pour eux, la réforme ne profitera qu'aux seuls membres du groupe dit « de Cairns » (Australie, Nouvelle-Zélande, Indonésie, Argentine, Brésil) mais peu, ou pas du tout, aux pays africains.

Principale opposante à la réforme, la France, première bénéficiaire de la manne communautaire, avec ses 900 000 paysans, s'est néanmoins ralliée au texte final, acceptant, avec le soutien de l'Allemagne, une déconnexion partielle. Les deux pays pourront observer une période de transition jusqu'à 2007. Du côté des agriculteurs, les premières oppositions n'ont pas tardé à s'exprimer, la signature de l'accord suscitant immédiatement un mouvement de colère. Pour la première fois depuis sa création en 1957, au moment du traité de Rome, la PAC n'est plus synonyme d'aide à la production. Dominique Chardon, secrétaire général de la FNSEA, a exprimé « un sentiment de tristesse », estimant qu'il s'agissait d'une remise en cause des fondements de la PAC et d'une renationalisation en germe de la politique agricole, une certaine marge de manœuvre étant laissée aux États membres dans l'application de cette « réforme à la carte ».

Le contenu de l'accord signé

Afin de dessiner ce nouveau cadre pour l'agriculture européenne valable jusqu'en 2013, les ministres ont dû trancher le nœud gordien du découplage des aides directes du volume de la production pour lutter contre le productivisme (les agriculteurs n'étant plus incités à produire plus pour toucher les subventions). Alors que le commissaire Fischler était favorable à un découplage total, ce que refusait vigoureusement la France, l'accord prévoit finalement un découplage à hauteur de 75 % des sommes versées dans le secteur des céréales, 25 % des aides restant dépendantes de la production. Toutefois, les pays qui souhaiteraient appliquer un découplage total peuvent néanmoins le faire. Pour les bovins, deux options possibles : un couplage total pour la prime à la vache allaitante avec un découplage de 60 % de la prime à l'abattage ou un couplage total pour la prime à l'abattage. Pour les ovins et les caprins, enfin, le découplage touche 50 % de la prime actuelle.