Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Le 40e anniversaire du traité de l'Élysée

Les fastes commémoratifs du traité de 1963 ont étonné les observateurs, mobilisé les états-majors politiques mais laissé indifférentes les opinions publiques.

Cette relance spectaculaire de la coopération franco-allemande s'arrêtera-t-elle aux développements de l'affaire irakienne ou bien trouvera-t-elle dans les conditions de l'élargissement de l'Union européenne matière à se maintenir ? Jamais, depuis l'arrivée au pouvoir du leader social-démocrate Gerhard Schröder à la chancellerie allemande en 1998, le couple franco-allemand n'a semblé fonctionner aussi bien. Les manifestations organisées pour célébrer le 40e anniversaire de la signature entre le chancelier Konrad Adenauer et le président Charles de Gaulle, le 17 janvier 1962, d'un traité d'amitié et de coopération qui a fait date dans l'histoire diplomatique ont témoigné d'un sens du symbolique complexe : la réunion d'un conseil des ministres commun aux deux gouvernements s'est poursuivie à Versailles par celle de l'Assemblée nationale et du Bundestag, dans ce lieu hautement chargé d'histoire pour les deux pays. De ce palais, la monarchie française a exercé un temps un magistère culturel sur tous les princes allemands et a parfois lancé des ordres terribles contre des Allemands, si l'on se rappelle les destructions du Palatinat. C'est aussi dans ce palais que s'est exprimée pour la première fois une Allemagne unifiée par la proclamation triomphale de l'empire, en 1871, achevant de faire des deux pays des ennemis héréditaires. Et c'est encore dans ces lieux que la revanche a résonné tragiquement : comme l'a rappelé la presse d'outre-Rhin, Versailles est synonyme de malheur, la honte de Versailles, la « Versaillesschande », le traité de paix imposé en 1919.

Vers un rapprochement encore plus étroit

Mais la symbolique historique a, pour l'occasion, accouché d'une anticipation audacieuse, l'évocation futuriste d'une citoyenneté « françallemande » dans le cadre d'une Europe dont la colonne vertébrale ne pourra être que l'axe Paris-Berlin. Idéalisation passagère d'un couple vieilli en retour d'âge ou recomposition stratégique d'intérêts bien compris ? Nul doute que les partisans d'une Europe continentale forte, s'appuyant sur l'axe Paris-Berlin, doivent beaucoup à la politique américaine au Moyen-Orient. Sans elle, le refroidissement intervenu depuis le départ d'Helmut Kohl en 1998 dans les relations entre les deux parties n'aurait pas pu être surmonté. Et ce n'est pas la présence de Mme Brigitte Sauzay dans l'entourage proche du chancelier qui aurait changé la détérioration progressive des rapports Chirac-Schröder, dont le point critique culmine au sommet de Nice. Toutefois, la fuite en avant de l'Union européenne vers l'adhésion massive des pays de l'Europe centrale et de l'Est et le problème politique majeur posé par la candidature de la Turquie n'auraient pas manqué d'amener Allemands et Français à se rapprocher, à moins de vouloir mettre définitivement au rencard le moteur de la construction européenne. Un moteur qui, si l'on en croit l'ex-chancelier Helmut Schmidt, est mal en point. Dans un entretien au Monde publié à propos des commémorations, celui-ci n'hésite pas à déclarer : « Aujourd'hui, le moteur franco-allemand de l'Europe n'existe plus. Les deux capitales parlent de ”renouveau”, mais il s'agit surtout d'une auto-intoxication. » Cette auto-intoxication condamne-t-elle sans espoir les promesses contenues dans la déclaration commune : un appel au renforcement de la collaboration (pour assurer la réussite de la Convention sur l'avenir de l'Europe), des changements d'appellation chargés de symboliser un rapport de plus en plus étroit entre les deux pays (les sommets franco-allemands semestriels transformés en conseils des ministres franco-allemands) ou l'invention d'un nouveau symbole (le 22 janvier devenant la journée franco-allemande).

Un objectif audacieux

Plus originale, la volonté de porter l'effort au niveau des citoyens afin de traiter les problèmes délicats en suspens – la fréquentation de plus en plus rare de la langue de l'autre, l'harmonisation des droits de la famille (le cas des divorces de couples franco-allemands) – et de nourrir des expériences destinées, selon la formule adoptée, à « rendre la France et l'Allemagne plus solidaire » : la création d'un poste de secrétaire général pour la coopération franco-allemande qui sera chargé de faciliter les nombreuses relations tissées entre les différentes administrations publiques, et, élément le plus spectaculaire, la possibilité à long terme de doter chaque citoyen français et allemand de la double nationalité. Un objectif audacieux qui s'appuie sur des bases réelles : une interdépendance croissante des économies et une complémentarité institutionnelle et historique. Mais cette base ne saurait suffire à nourrir ce couple forcé par l'histoire récente et menacé par des tropismes différents : le grand large anglo-saxon et, occasionnellement, les sympathies blairistes de Schröder chez les Allemands, les rivages sud-méditerranéens et la solidarité francophone.