Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

La Serbie se cherche un président

Coup sur coup, le 13 octobre et le 8 décembre, les élections présidentielles ont dû être invalidées en Serbie, faute de participants. Une mauvaise nouvelle pour l'élu éconduit de ce scrutin au rabais, le président yougoslave Vojislav Kostunica.

Appelés aux urnes le 8 décembre pour élire leur président, les Serbes ne se sont pas davantage mobilisés que le 13 octobre, où leur trop faible participation avait conduit à l'annulation de ce premier scrutin. Cette fois encore, malgré les appels au civisme des candidats, et plus particulièrement du président de la Fédération yougoslave Vojislav Kostunica, qui a largement remporté le scrutin avorté, seuls 45 % des électeurs serbes (trois millions de votants) avaient pris la peine de se rendre dans les bureaux de vote, un taux de participation bien en deçà donc des 50 % nécessaires à la validation du scrutin.

Bis repetita

Ces présidentielles sur l'air du quitte ou double constituent un sérieux revers pour le président Kostunica, qui cherchait à l'occasion de ce scrutin, à s'imposer sur la scène politique de Serbie dont le gouvernement dirigé par Zoran Djindjic lui a tenu tête plus d'une fois, et singulièrement en juin 2001 lors du transfert à La Haye de l'ancien président Milosevic, que son successeur nationaliste voulait voir juger à Belgrade. La déception et l'amertume de M. Kostunica sont d'autant plus grandes qu'il a remporté haut la main ces deux élections au rabais, qui confirmaient les sondages successifs désignant son Parti démocrate de Serbie (DSS) comme la première formation de l'échiquier politique serbe, face au Parti démocrate (DS) de M. Djindjic, certes bien implanté dans les villes, mais discrédité par les luttes d'influence internes et les mauvais résultats économiques du gouvernement. Cette évolution avait encouragé les revendications du DSS en vue d'une représentation plus importante au sein du gouvernement de Belgrade, donnant lieu le 18 juillet à un vote du Parlement qui avancera de trois mois la tenue des présidentielles, fixées alors au 28 septembre, date du premier tour, qui verra M. Kostunica arriver en tête avec 31 % des voix face à son principal rival, Miroljub Labus, un économiste proche du Premier ministre, (27,3 %), suivi par Vojislav Seselj, le leader d'extrême droite, chef du Parti radical serbe (23,2 %). Les appels au boycott de ce dernier, qui bénéficiait du soutien adressé par Milosevic depuis sa prison de La Haye, seront en grande partie responsables d'un taux d'abstention qui conduira à l'invalidation du scrutin du 13 octobre. Le même scénario se répétera donc le 8 décembre, sauf que cette nouvelle tentative, à l'avantage cette fois encore de M. Kostunica, crédité d'une majorité absolue de 58 % contre 35,6 % à M. Seselj. Mauvais gagnant, le président fédéral yougoslave a imputé la responsabilité de cet échec à Z. Djindjic, mettant en cause la falsification des registres électoraux et menaçant d'une dissolution du Parlement. Prenant acte avec une certaine satisfaction de l'annulation d'un processus électoral qui tournait au désavantage de son candidat, le Premier ministre serbe soulignait quant à lui l'urgence d'une nouvelle Constitution remplaçant celle de 1990 toujours en vigueur héritée de Milosevic.

L'influence du nationalisme

Cette impasse politique, qui laisse un vide inquiétant au sommet du pouvoir serbe, occupé jusqu'au 5 janvier 2003, par l'actuel président Milan Milutinovic, dernier élément du régime Milosevic encore en fonction qui devrait s'envoler, sitôt levée son immunité, vers le Tribunal pénal international de La Haye, laissant l'intérim à la présidente du Parlement Natacha Micic, proche de M. Djindjic, traduit la désaffection des Serbes pour la scène politique et ses acteurs, qui n'ont pas tous rompu avec l'ancien régime. Le score dont est crédité M. Seselj dans des scrutins qui font désormais figure de sondages souligne l'influence du nationalisme dans un débat électoral qui prétendait mettre l'accent sur les questions économiques. Les électeurs, en proie à des difficultés que n'a guère allégé l'aide économique annoncée par les Occidentaux, n'ont pas été sensibles aux promesses de M. Labus, qui agitait la carotte d'un accord avec l'UE en 2003. Pour autant, ils n'ont pas souhaité donner carte blanche à M. Kostunica, même s'ils ont davantage écouté ses critiques contre la politique du gouvernement de M. Djindjic, dont les réformes, douloureuses sur le plan social, sont suspectées de vouloir mettre le pays sous la coupe des institutions étrangères. Si le débat électoral a donné les coudées franches à M. Kostunica pour étoffer sa rhétorique nationaliste, et se livrer à une surenchère qui l'opposera dans les urnes à M. Seselj le 8 décembre, cette évolution a finalement détourné des bureaux de vote la majorité des électeurs serbes. Ceux-ci n'ont pas été apparemment sensibles à la campagne menée par l'entourage du Premier ministre serbe, qui avait mis à profit un scandale de ventes d'armes à l'Irak pour tenter de montrer la collusion entre le président Kostunica et les chefs d'une armée yougoslave encore sous l'influence de Milosevic. Début novembre, ce scandale avait conduit le président yougoslave à limoger deux généraux, le vice-ministre de la Défense et le directeur de la société Yougoimport, une mesure qui sera saluée par les États-Unis mais qui, pour une opinion encore sous le choc de l'offensive militaire de l'OTAN en 1999, traduit l'influence politique croissante des Occidentaux dans les affaires du pays, sans réelle contrepartie dans le domaine économique. Si ces échecs électoraux à répétition ont souligné les divergences profondes au sein de la classe politique serbe et yougoslave, notamment sur la question des relations avec l'Occident, on ne pouvait néanmoins donner tort, à Belgrade, au directeur du Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, Ehrard Busek, qui déclarait au lendemain du scrutin invalidé qu'un « autre échec de cette élection va rendre la situation politique en Serbie encore plus instable ».