Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

La leçon afghane de l'Allemagne, un pas vers la normalité internationale ?

En engageant la responsabilité de son gouvernement sur la participation militaire de l'Allemagne en Afghanistan, Gerhardt Schröder a scellé sa coalition tout en faisant faire à son pays un pas décisif en direction de la « normalité » internationale.

Le 8 novembre 2001, le chancelier Gerhardt Schröder présentait au Bundestag sa proposition d'envoyer des troupes allemandes participer à l'effort international de lutte contre le réseau terroriste Al-Qaida et le régime taliban qui le protège.

3 900 hommes répartis entre des unités de détection des armes de destruction massive, des unités d'assistance humanitaire et des unités chargées de la logistique. 3 900 hommes pour prouver la solidarité de l'Allemagne envers les États-Unis... qui ne lui demandait rien ; 3 900 hommes pour affirmer la crédibilité de l'Allemagne, première puissance économique européenne, vis-à-vis des autres pays occidentaux ; bref, 3 900 hommes témoignant, comme l'a dit le chancelier Schröder devant les députés, « de notre disposition à assumer par des actions concrètes les responsabilités internationales d'une Allemagne adulte ».

Une telle initiative, qui appelle un certain consensus, seule cette majorité social-démocrate pouvait l'assumer. Présentée par un gouvernement chrétien-démocrate, elle aurait vu, il y a encore peu, se dresser contre elle une gauche traditionnellement hostile à tout ce qui peut rappeler l'hégémonisme allemand, appuyée par une opinion frileuse. Cet engagement militaire allemand ne pouvait venir que d'un chancelier appartenant à une génération née après la Seconde Guerre mondiale et vierge des inhibitions suscitées par le passé nazi, comme Gerhardt Schröder, et partisan d'une realpolitik « éclairée », selon le propre terme de l'actuel chancelier lors de son arrivée au pouvoir, en 1998. L'affaire n'allait toutefois pas être si simple.

Si certains veulent sauter par la fenêtre...

Approuvée par l'opposition de droite, la proposition du chancelier Gerhardt Schröder a aussitôt provoqué une crise chez les pacifistes Verts, ravivant le débat récurrent sur leur participation à la coalition gouvernementale malgré la position favorable adoptée par leur leader Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères.

La fronde d'une partie des élus écologistes, ajoutée à la défection annoncée de plusieurs députés sociaux-démocrates – qui permettait à l'opposition de mettre en doute la réalité de la majorité gouvernementale –, ne laissait pas le choix au chancelier Schröder. Le 12 novembre, il annonçait qu'il engageait la responsabilité de son gouvernement sur le vote prévu pour le 16. Non seulement les Verts allaient devoir choisir entre la discipline gouvernementale et le départ de la coalition ou, pis encore pour leur avenir, le retour devant les électeurs, mais la droite allait se trouver contrainte de voter contre une décision dont elle approuvait le principe.

Le 16 novembre, le Bundestag a finalement accordé sa confiance au gouvernement, avec deux suffrages de plus que la majorité requise de 334 voix. Seuls quatre des 47 députés Verts ont mêlé leur voix à l'opposition de droite et communiste, imités par une unique députée social-démocrate. « La chute de ce gouvernement et l'effondrement des Verts allemands [...] menaceraient, voire détruiraient, le projet Vert européen », avaient prévenu, dans un message commun destiné à leurs collègues, Daniel Cohn-Bendit, Dominique Voynet et Noël Mamère, ce que le secrétaire général du Parti social-démocrate avait traduit à sa manière en affirmant : « Si certains veulent sauter par la fenêtre, nous ne pouvons pas les retenir. »

Mutation forcée

Dans son discours d'ouverture du congrès social-démocrate à Nuremberg, le 19, Gerhardt Schröder a été très clair : « Je mentirais si j'affirmais n'avoir rien à objecter à ce qui s'est dit chez les Verts. Une fois pour toutes, ces derniers devront se colleter à la réalité s'ils veulent améliorer les choses. La nostalgie et le refoulement ne sont pas appropriés pour gouverner l'Allemagne. » Il a toutefois concédé que le choix des Verts comme alliés au sein de la coalition était le meilleur pour « conduire le changement ». Le 24, les Verts réunis en congrès à Rostock lui ont montré qu'ils l'avaient compris. Ils ont entériné la position de leur direction, favorable à la participation allemande au conflit afghan, suivant les exhortations de Joschka Fischer à faire preuve de plus de « réalisme ». En exigeant un vote de confiance, le chancelier Gerhardt Schröder aura manqué l'occasion de réunir une large majorité sur l'envoi de troupes en Afghanistan. Mais il aura forcé les Verts à devenir un parti de gouvernement et donc à assumer pleinement leurs responsabilités. Ce faisant, le chef du gouvernement allemand aura montré la capacité du gouvernement de son pays à faire progresser l'Allemagne sur la voie de la « normalité » internationale, quel qu'en soit le prix à payer sur le plan intérieur.