Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

La réaction américaine

L'Amérique se réveille le 12 septembre complètement sonnée. Comme un boxeur invaincu qui se retrouverait au tapis dans un combat qui paraissait inégal au départ. Dans le reste du monde, et malgré l'horreur des attentats, on n'est pas si mécontent de constater que le colosse a peut-être des pieds d'argile.

Aux États-Unis, la stupéfaction générale est encore plus grande que le choc provoqué par l'ampleur du désastre. Dans ces situations de crise, les États-Unis réagissent invariablement de la manière suivante : d'abord, c'est le ralliement autour de la bannière étoilée. Vient ensuite le « serment » d'allégeance au président des États-Unis, personnage symbolique, véritable porte-drapeau de toute la nation. Le serment précède le moment de recueillement introspectif permettant au peuple de comprendre et d'analyser l'événement. Enfin, on recherche la solution au problème, avant de mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre les objectifs et résoudre ce problème. C'est exactement le scénario qui se produit dès le lendemain des événements du 11 septembre.

Un élan patriotique

L'élan patriotique américain, qui fait souvent sourire les Européens, constitue le ciment qui unit ce peuple, et que d'autres nations trouvent ailleurs, dans leur histoire, leur culture ou leur religion. Dès le lendemain des attentats, on a vu que des centaines de millions de drapeaux surgissaient partout sur le territoire américain. George W. Bush est propulsé au zénith de la popularité présidentielle. De son côté, la presse pratique sa version du patriotisme à outrance : l'autocensure, qui fonctionne alors parfaitement. À ce moment, les voix dissidentes ne sont pas bien vues. Très vite, les organismes de sécurité, dont le FBI, parviennent à mener leur enquête avec succès. Les arrestations en masse se succèdent, les agents fédéraux remontent la filière. Le constat est difficile à encaisser même si l'Amérique commence à s'habituer à ces actes de barbarie à grande échelle qui ponctuent son actualité depuis quelques années, notamment avec ces fusillades à répétition dans les écoles et les lycées. Mais le 11 septembre marque un bond quantitatif important. De quelques individus, voire quelques dizaines de personnes à Oklahoma City, on passe à des milliers de victimes. On en décompte plus même qu'à Pearl Harbor, ce « jour qui vivra dans l'infamie », selon les paroles célèbres de Franklin Roosevelt. Cependant, si auparavant les attentats sur le sol américain avaient été l'œuvre de quelques individus, ceux du 11 septembre sont le fait d'une organisation importante. Il apparaît brusquement que ce modèle parfait de la démocratie, que, aux yeux de la plupart des Américains, le monde entier voulait adopter, avait aussi ses détracteurs. On connaît la dimension religieuse de l'Amérique. Pour l'écrasante majorité des Américains, la religion est sacrée. Tout le monde se doit de pratiquer une religion, quelle qu'elle soit. La tolérance religieuse fait partie du credo officiel. La seule croyance qui ne soit pas vraiment tolérée est la non-croyance. La seule qui soit intolérable est l'athéisme. Dans un pays aux réactions manichéennes, empreint d'une certaine naïveté, la religion est « bonne », l'anti-religion est « mauvaise ». C'est cette attitude partagée par tous qui est probablement à l'origine de la surprise monumentale créée par les attentats du 11 septembre.

Examen de conscience

Comment des gens aussi religieux, se réclamant de Dieu, peuvent-ils s'en prendre à une nation pieuse et généreuse comme les États-Unis ? Comment des pays entiers pouvaient-ils haïr à ce point cette belle civilisation qui a donné la liberté et la prospérité au monde entier ? Telles étaient certaines des interrogations que l'on se posait publiquement dans les jours qui suivirent le 11 septembre. Elles ont donné lieu à de véritables débats publics sur la place de l'Amérique dans le monde et sur la manière dont celle-ci est perçue sur l'ensemble de la planète. Le temps était à l'examen de conscience, voire à l'autocritique qui précède la rédemption, autre syndrome clé de la société américaine. Ainsi, sur la dimension affective se sont superposées les dimensions intellectuelle et spirituelle. Une fois ce travail introspectif entamé, on pouvait passer aux problèmes d'ordre pratique, non sans avoir examiné de quelle manière les États-Unis avaient peut-être entretenu cette haine ou comment ils avaient aidé à fabriquer la machine terroriste Ben Laden, machine qui se retournait désormais contre eux. L'Amérique s'est construite sur la volonté et le travail de ses pionniers. Ceux-ci ont imprégné la culture américaine de cette idée que tout problème peut être résolu à force de travail et de volonté. Le problem solving consiste à identifier le problème, à déterminer sa solution et à tout mettre en œuvre pour le résoudre. Rapidement, le gouvernement américain a identifié la source du problème : un homme, Ben Laden, et un État, l'Afghanistan. La solution : éliminer la source du problème. Donc, trouver Ben Laden et détruire le régime qui le protège. L'identification du problème semblait facile. La mise en application, plus complexe, nécessitait un moment de réflexion. Une réaction trop rapide donc aurait été mal perçue. Au bout de quelques semaines, le gouvernement avait pris sa décision : il décidait d'aller chercher Oussama Ben Laden en Afghanistan.

L'option aérienne

Si le problem solving guide la société américaine, la haute technologie est l'un des moyens préférés pour accomplir ses objectifs. Ce phénomène est encore plus accentué dans le domaine de la stratégie militaire. Dans le cadre actuel des guerres asymétriques, l'option aérienne est aujourd'hui incontournable. C'est elle qui permet d'exploiter au mieux la haute technologie (non nucléaire évidemment) tout en évitant, ou tout au moins en retardant, la mise en action des troupes, introduisant une dimension humaine infiniment plus difficile à gérer auprès d'une opinion publique qui tend à si lasser de la guerre de plus en plus rapidement. C'est pourquoi l'option aérienne est exploitée jusqu'au maximum de ses possibilités avant que les autres éléments des forces armées entrent en action, sachant que plus le temps passe, plus la situation se complique et plus le soutien au président se fragilise. Si le gouvernement américain réalise un sans-faute durant les semaines qui suivent les attentats, le président Bush se retrouve progressivement sur un terrain de plus en plus miné où les options qui lui sont offertes vont se multiplier exponentiellement. Aux États-Unis, l'homme est jugé à la mesure de sa réussite. Celle du président américain dans cette terre lointaine de l'Afghanistan sera déterminante pour la suite de son mandat.