Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le retour de Berlusconi

Le 13 mai 2001, la coalition des droites conduite par Silvio Berlusconi a gagné les élections législatives, tout en ayant recueilli moins de voix qu'en 1996, quand elle avait été battue par l'Olivier.

Le total des voix de droite pour la Chambre des députés (45,4 %) a même été inférieur à celui des voix de gauche (47,8 %). Mais les droites étaient unies, et les gauches divisées. Cette situation, à l'opposé de celle qui prévalait cinq ans auparavant, a offert sur un plateau le gouvernement du pays à Silvio Berlusconi.

Quatre grandes forces

Le succès de M. Berlusconi marque avant tout la puissance de la demande de changement qui vient du milieu des propriétaires et en particulier du patronat. Vingt ans après le succès de Mme Thatcher en Grande-Bretagne, l'Italie, protégée par la force de la gauche et des syndicats, n'avait toujours pas connu de révolution néolibérale : cette fois, nous y sommes. Au pays où les entreprises ne jouissaient pas de la liberté de licencier, le vote du 13 mai 2001 a représenté d'abord la volonté de payer moins d'impôts et de pouvoir entreprendre sans se soumettre aux règles dictées par l'intérêt général. Toute la campagne a été marquée par la polémique sur l'énorme conflit d'intérêts qui pèse sur M. Berlusconi : or, pour plus de 18 millions d'Italiens qui ont voté à droite, cela n'a manifestement pas eu d'importance !

Le bloc social propriétaire qui le soutient se compose de quatre forces principales : l'association du patronat (la Confindustria), la grande majorité des médias, les hiérarchies de l'Église et la haute administration, en particulier la Banque d'Italie. Si en 1994 l'aventure gouvernementale de M. Berlusconi a tourné court au bout de neuf mois, c'est aussi parce que le grand patronat de Fiat, Pirelli et Télécom ne l'a pas soutenu, le considérant comme un parvenu au sein des grandes familles du capitalisme italien. Mais, cette fois, l'homme d'affaires milanais a bien préparé l'échéance. Avant les élections, il a d'abord conquis, grâce au soutien des PME et par l'intermédiaire de son affidé M. D'Amato, un petit industriel napolitain, le contrôle de la Confindustria. Ainsi le parti de la Démocratie chrétienne, qui avait gouverné pendant quarante ans en recherchant systématiquement un compromis mâtiné de valeurs humanitaires entre les intérêts du patronat et ceux des couches moyennes et populaires, a été remplacé aux commandes du pays par une force politique qui défend d'abord les revendications du patronat. Plus qu'une simple alternance entre gauche et droite, c'est une « révolution conservatrice » comme le pays n'en avait pas connu depuis les années 1920 et la montée au pouvoir du fascisme. La nouvelle droite qui a pris les commandes en Italie est ancienne et moderne à la fois. Ancienne, parce qu'elle englobe le parti de l'Alliance nationale, qui n'est rien d'autre que l'héritier des partisans de M. Mussolini, ainsi que les courants les plus cléricaux de l'ancienne Démocratie chrétienne, qui rêvent d'abolir la liberté d'avortement et de financer massivement les écoles religieuses ; moderne, parce que le parti du leader, Forza Italia, fonctionne comme un conseil d'administration dont M. Berlusconi est le P-DG ; il utilise le contrôle de la télévision pour diffuser le message populiste de son chef.

Des promesses contradictoires

En fait de populisme, M. Berlusconi n'a pas hésité à mener une campagne électorale à l'enseigne des promesses les plus contradictoires : moins d'impôts et plus de dépenses, pour satisfaire en même temps les patrons et les ouvriers, les agriculteurs et les commerçants, les étudiants et les retraités. Mais les premières mesures de son gouvernement ont créé quelques déceptions : elles prévoyaient certes la baisse des impôts sur les bénéfices des entreprises et l'annulation pure et simple de l'impôt sur les successions et les donations. Elles prévoyaient aussi la liberté pour les propriétaires immobiliers de restructurer leurs biens sans trop devoir dépendre des autorisations de l'administration. Mais des millions d'Italiens avaient voté surtout pour deux autres promesses : la baisse radicale des impôts pour tous, et en particulier pour les classes moyennes, et l'augmentation du minimum retraite de 30 %. Or, quelques jours à peine après la victoire, les collaborateurs du Premier ministre ont découvert un « trou » de plusieurs milliards d'euros, laissé dans les comptes de la nation par le gouvernement sortant de centre gauche. Ce trou, réel ou imaginaire, devait justifier l'abandon des promesses électorales adressées aux milieux populaires et même – Europe oblige ! – de nouvelles économies sur la santé et les retraites, de façon à pouvoir maintenir au moins la promesse électorale de baisser les impôts des plus hauts revenus. Bref, à peine élus, M. Berlusconi et sa coalition se sont révélés, comme en 1994, des Robin Hood à l'envers, qui prennent aux pauvres pour donner aux riches. Pourront-ils, dans ces conditions, conserver longtemps l'appui des Italiens ? La droite italienne parie sur un miracle économique qui lui permettra de redistribuer plus tard les fruits d'une croissance que l'ultra libéralisme de Forza Italia devrait impulser. L'état de choc dans lequel se trouve la gauche de l'Olivier lui laisse un certain temps. Mais après ? Si ce miracle ne devait pas se produire, la bataille entre droite et gauche se déplacera davantage sur le terrain culturel et sur celui de la communication. C'est là où M. Beriusconi compte beaucoup sur son contrôle absolu de la télévision.