Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

L'Europe fédérale divise la France

Le 12 mai, Joschka Fischer relance en fanfare le débat européen en exaltant l'idée d'une Europe fédérale. La réaction indignée de Chevènement en appelle à la résistance de l'État-nation que l'Allemagne voudrait brader pour conjurer les perversions auxquelles elle a prêté le flanc dans son histoire... Simples péripéties finalement, qui n'empêcheront pas Jacques Chirac de saisir la balle au bond pour plaider devant le Bundestag l'idée d'une Constitution européenne.

Le débat sur l'architecture future d'une Union européenne en voie d'élargissement marquait de nettes tendances à l'enlisement quand, le 12 mai, le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, lui donne un nouveau souffle lors d'un discours aux accents de manifeste en faveur d'une Europe fédérale et de l'intégration accélérée de ses membres. Les positions exprimées par le chef de la diplomatie allemande, partisan d'un système fédéral doté d'institutions supranationales, même si elles s'affichent prudemment comme le fruit de réflexions « personnelles », sont aussitôt accueillies, de ce côté-ci du Rhin, par les protestations indignées de Jean-Pierre Chevènement : piqué au vif dans son souverainisme, le ministre français de l'Intérieur en appelle à la résistance de l'État-nation contre les tentatives de dilution dans une Fédération européenne auxquelles voudrait le soumettre l'Allemagne.

En utilisant l'Europe pour exorciser les vieux démons d'une histoire nationale marquée par la quête douloureuse et vaine de l'État-nation, l'Allemagne montrerait qu'elle « n'est pas encore guérie du déraillement qu'a constitué le nazisme », qui ne serait autre qu'une terrible perversion de la « conception ethnique » allemande de la nation, fondée jusqu'à l'année dernière sur le droit du sang, affirme le ministre français dans sa diatribe. Accusés de charrier des relents de germanophobie, les propos du ministre français de l'Intérieur suscitent une levée de boucliers dans la classe politique française plus encore d'ailleurs qu'en Allemagne.

La surenchère de Chirac

L'incident semble oublié lorsque Gerhard Schröder, Jacques Chirac et Lionel Jospin se réunissent le 9 juin à Mayence pour un sommet scellant les retrouvailles franco-allemandes... Le pavé lancé par J. Fischer dans le marais stagnant du débat européen a ainsi produit en partie l'effet désiré, dans la forme sans doute plus que dans le fond, puisque le président français saisira la perche tendue par le ministre et chef de file des Verts allemands pour dessiner à son tour les contours de l'Europe de demain. Dans un discours intitulé « Notre Europe » prononcé le 26 juin dans l'enceinte du Reichstag à Berlin, J. Chirac donne la réplique à J. Fischer sur un ton tout aussi européen, quoique un peu édulcoré, en prônant la réalisation de l'Europe par les gouvernements qui la composent plutôt que par Bruxelles. Le chef de l'État se prononce en faveur d'une Constitution européenne soumise à référendum, qui résulterait de la synthèse des traités existants, de la charte des droits fondamentaux en cours de discussion et d'une définition du partage des compétences entre l'Europe et les États.

Arc-bouté sur les très pragmatiques préoccupations imposées par la présidence française de l'UE, le gouvernement Jospin réagit avec une tiédeur manifeste aux envolées européennes de J. Chirac, dont les propositions n'engageraient que lui et ne sauraient être interprétées comme le « discours des autorités françaises », rappellera le ministre des Affaires européennes, Pierre Moscovici. J. Chirac prendra d'ailleurs soin de passer sous silence la question d'une Constitution européenne dans un discours plus neutre et consensuel prononcé le 4 juillet devant le Parlement européen de Strasbourg.

P. F.

La cohabitation et l'Europe

Dans la chronique plutôt sereine de la cohabitation, l'Europe ne figurait pas au nombre des sujets qui fâchent... Jusqu'à ce fameux discours au Bundestag par Jacques Chirac, dans lequel le président français esquissait une ébauche de l'Europe de demain, se posant « la question de son sens et de son avenir, au-delà des échéances immédiates ». Le Premier ministre Lionel Jospin ne cachera pas son agacement face au rôle de visionnaire que se donne le chef de l'État, qui se pose en interlocuteur privilégié du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, en prenant du même coup l'initiative dans le débat européen. Après son incursion malheureuse dans le domaine réservé de l'Élysée à Bir Zeit, le Premier ministre ne veut pas se laisser déborder sur les questions européennes, qui relèvent autant de la diplomatie que de la politique intérieure, comme en témoignent leurs incidences sur le climat de la cohabitation. Matignon n'a pas manqué de souligner les contraintes de six mois de présidence française de l'UE.