Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

France-Allemagne : en instance de divorce

Les relations au sein du couple franco-allemand, qui prétendait être le moteur de l'Union européenne, n'ont cessé de se dégrader depuis la réunification allemande et le processus d'élargissement à l'Est de l'UE, qui déplace le centre de gravité de l'Europe vers l'Allemagne.

Le sommet de l'Union européenne, qui se déroulait à Nice du 7 au 10 décembre, a-t-il scellé le divorce du couple franco-allemand ? La chute du mur de Berlin, outre qu'elle avait signé l'acte de naissance d'une Allemagne agrandie, dont le poids devait être révisé en conséquence dans l'équilibre des forces européennes, était le signe avant-coureur d'une intégration prochaine à l'Union européenne de toute l'Europe de l'Est, libérée de l'emprise russe, déplaçant donc vers l'Allemagne le centre de gravité géographique et politique de cette nouvelle Europe en gestation. Le processus d'élargissement à l'Est, où se situent la plupart des treize pays candidats à l'UE, devait confirmer ce recentrage au profit d'une Allemagne qui revendique dès lors avec une insistance pressante le leadership européen.

Nouvelle alerte le 12 mai, avec le discours du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, prônant la constitution d'une Europe fédérale dans laquelle se dilueraient les États-nations, qui provoquera en retour les diatribes antigermaniques de Jean-Pierre Chevènement, qui prétend déceler dans ce texte les tares d'une conscience nationale allemande qui n'a pas tout à fait réglé ses comptes avec le passé nazi. Le président français ira plus loin encore dans le sens de la conciliation en reprenant dans son discours du Bundestag à Berlin, le 26 juin, certains points de la déclaration de M. Fischer et en avançant, non sans provoquer d'ailleurs de vives réactions à Matignon, l'idée de « coopérations renforcées » au sein de l'Union et d'un « groupe de pays pionniers », dont bien sûr l'Allemagne et la France, qui tireraient en avant l'Europe élargie de demain. Censée aplanir les différends entre l'Allemagne et la France au moment où cette dernière s'apprêtait à assumer la présidence de l'UE, cette position avait l'accord de principe de l'Allemagne, pourvu que ses ambitions politiques, fondées sur son poids démographique en Europe, soient prises en compte. C'est sur cet enjeu majeur que l'Allemagne attendait la France au tournant de sa présidence européenne : le 10 novembre, au sommet franco-allemand de Vittel, M. Schröder avait pris un malin plaisir à rappeler à M. Chirac ses propos quand, lors du sommet de Berlin en 1999, l'Allemagne avait dû lui céder sur la question de la politique agricole commune sous la pression de la France ; le président français avait alors expliqué que c'était le pays assurant la présidence, en l'occurrence l'Allemagne, qui devait consentir les plus grands sacrifices s'il voulait parvenir à un accord. Le sommet de Nice donnera à l'Allemagne l'occasion de rappeler à la France que ce principe vaut aussi pour elle...

P. F.

L'Allemagne marque des points à Nice

Bien souvent perçue par les « petits pays » européens comme une course au leadership, la rivalité entre la France et l'Allemagne a bien failli compromettre, à Nice, la conclusion d'un accord sur la réforme des institutions européennes, indispensable pour l'élargissement de l'UE à 13 autres pays. Les exigences de l'Allemagne se fondent sur une arithmétique a priori simple : pays le plus peuplé d'Europe avec 82 millions d'habitants (60 millions pour la France et un peu moins pour les autres « grands », Grande-Bretagne et Italie), l'Allemagne entend avoir dans l'Union une représentation conforme à son poids démographique. Elle a eu paradoxalement le soutien des petits pays, hostiles à ce « directoire des grands », dont la France, accusée d'arrogance et de manque de clarté dans une position embrouillée par la cohabitation, entend participer sans contrepartie. La France a officiellement sauvé la face, en obtenant que l'Allemagne ait, comme elle, 30 voix au Conseil des ministres européens.