Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Liban : le retour de Rafic Hariri

Trois mois après le retrait israélien du Sud-Liban, des élections législatives sont organisées au pays du cèdre, les troisièmes depuis la fin de la guerre civile en 1990. Ce scrutin est divisé en deux phases. La première, le dimanche 27 août, concerne le Nord et le fief chrétien du Mont-Liban. La seconde, le dimanche 3 septembre, vise les régions de Beyrouth, la Bekaa et le Sud. Le plus attendu est le duel de Beyrouth qui met aux prises le chef du gouvernement sortant, Sélim Hoss, et l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, son principal adversaire.

C'est dans un relatif calme que débute la première phase des élections, le 27 août, même si certains observateurs indépendants dénoncent irrégularités et trucages et trouvent anormale la double casquette du ministre de l'Intérieur, défenseur du gouvernement sortant et superviseur des élections.

Dans ces deux régions du Nord et du Mont-Liban, peuplées de musulmans sunnites, de chrétiens et de druzes, 1,3 million d'électeurs sont appelés à élire les premiers 63 des 128 députés du Parlement (pour quatre ans, au scrutin majoritaire). Les bureaux de vote sont fermés à 18 h et le résultat officiel tombe le lendemain : pour la première fois depuis vingt-cinq ans, l'opposition sort largement victorieuse et arrache la majorité des sièges.

Parmi les principaux vainqueurs et figures de l'opposition, on trouve le druze Walid Joumblatt, allié à Rafic Hariri, Pierre Gemayel, fils de l'ancien président Amine Gemayel, et Nassib Lahoud, cousin dissident de l'actuel président Émile Lahoud et adversaire victorieux du ministre de l'Intérieur Michel Murr. Plusieurs personnalités pro-syriennes sont évincées : l'ancien chef de guerre Élie Hobeika ou l'ex-ministre des Affaires étrangères Farès Bouez. Pour le pouvoir libanais et le parrain syrien, l'alerte est sérieuse et sera confirmée par la deuxième phase des élections.

En effet, le 3 septembre, le régime du président Lahoud sort laminé du scrutin qui concerne cette fois-ci la région de Beyrouth, la Bekaa et le Sud. Pour la première fois depuis 1972, ces élections portent également sur l'ancienne zone d'occupation israélienne, envahie par Tsahal en 1978 et évacuée le 24 mai dernier sous la pression du Hezbollah. Au Liban-Sud, une coalition incongrue Hezbollah/mouvement chiite Amal décroche sans surprise les 23 sièges disputés.

R. Hariri, bête noire d'un président qui l'avait évincé du pouvoir en 1998, rafle 18 des 19 sièges à Beyrouth (le 19e revenant à un Hezbollah qui se rallie aussitôt au vainqueur). Il monopolise ainsi la représentation politique de la capitale, une première depuis 1943. Le succès prend l'allure d'un véritable raz de marée. Sélim Hoss, Premier ministre sortant, qui vient de perdre son siège à Beyrouth, doit reconnaître son échec dans les « élections les plus âpres à ce jour ».

Pourtant, R. Hariri a eu du mal à acquérir cette stature politique nationale. Premier ministre depuis 1992, il est poussé vers la sortie par Émile Lahoud, lequel lui voue une profonde inimitié. C'est cette haine que R. Hariri exploite finalement pour revenir dans l'arène politique, une haine transformée en polarisation confessionnelle.

Au Liban, la tradition confessionnelle veut que le président, un chrétien maronite, soit épaulé par un Premier ministre sunnite. Devenu chef de file de l'opposition, R. Hariri dénie à son successeur S. Hoss le droit de représenter les sunnites et bataille pour devenir leur porte-parole. La tâche n'est pas simple compte tenu de l'hostilité viscérale du président envers R. Hariri, à qui il impute crise économique et surendettement, et de la méfiance de certains Syriens qui craignent que sa trop forte personnalité ne nuise au nouveau président Bachar el-Assad. Il doit par ailleurs faire oublier la réputation désastreuse tissée par les services secrets et s'adapter à une loi électorale qui fractionne l'électorat sunnite de Beyrouth au profit de ses adversaires.

R. Hariri bénéficie néanmoins d'éléments conjoncturels favorables comme la faible participation chrétienne aux élections (de l'ordre de 20 %) et l'incapacité de son prédécesseur à juguler la crise économique. Par ailleurs, celui que la presse locale a surnommé « le bulldozer » n'hésite pas à déployer tous les moyens nécessaires à un retour triomphal : une campagne très médiatisée à l'occidentale, une forte mobilisation du vote sunnite et même des alliances inédites avec les chrétiens et les druzes comme Joumblatt (pour un vote nouveau moins clanique et confessionnel). Les fonds engagés sont énormes, ce qui fait dire à ses principaux détracteurs que c'est le « pouvoir die l'argent » qui est à l'œuvre.

Incertitude de la position syrienne

Le vainqueur se garde de tout triomphalisme et, candidat tout trouvé au poste de Premier ministre, il refuse de s'arroger trop rapidement ce titre. Il sait que, selon la Constitution, le chef de l'État désigne le Premier ministre après consultation « contraignante » des députés, lesquels doivent se prononcer majoritairement le 17 octobre pour le nouveau candidat. Il n'ignore pas non plus que si les Syriens ne se sont pas immiscés dans le scrutin, leur blanc-seing est nécessaire. C'est ce qui explique sa prudence sur le thème des relations syro-libanaises, volontairement mis de côté durant la campagne au profit de la politique intérieure. Dès le lendemain des élections, c'est vers la Syrie, « le grand frère », que tous les yeux se tournent. Que va faire Bachar, le nouveau président ? Alors qu'un des élus, Albert Moukheiber, en appelle ouvertement à la fin de l'occupation syrienne rendue inutile depuis le retrait israélien, plusieurs autres compétiteurs, proches du régime syrien, sont battus par l'opposition.