Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Naissance de la « République bolivarienne de Venezuela »

Au moment où un référendum pour une nouvelle Constitution vient renforcer les pouvoirs du président Hugo Chavez et jeter les fondations de la « République bolivarienne », le Venezuela est affecté par des pluies catastrophiques, à l'origine d'un véritable désastre national. Les inondations et glissements de terrain, qui font au moins 40 000 morts et des centaines de milliers de sans-abri, vont-ils saper les fondations de ce nouveau Venezuela, dont le président Chavez s'était engagé à mieux partager les richesses pétrolières, ou au contraire cimenter autour de lui la nation ?

« Nous avons accouché de la nouvelle République bolivarienne, mais nous l'avons fait dans la douleur », déclarait le président vénézuélien Hugo Chavez à l'annonce des premiers résultats du référendum du 15 décembre sur une nouvelle Constitution renforçant les pouvoirs présidentiels et jetant les fondations d'une nouvelle république se réclamant du Libertador. Le pays n'avait alors pas encore évalué l'ampleur de la catastrophe provoquée par les pluies diluviennes qui s'abattent sans discontinuer sur les régions centrales, gâchant – jusqu'à les annuler – les festivités prévues pour marquer l'entrée du Venezuela dans une nouvelle ère, celle notamment d'un partage plus équitable des richesses nationales. Le deuil national éclipse la victoire du président Chavez, dont 70 % des électeurs avaient approuvé le projet constitutionnel, qui consolide son emprise sur le pouvoir, juste un an après son élection. Les trombes d'eau qui se déversent notamment sur l'État de Vargas, le plus touché, entre la cordillère de l'Ávila et la mer des Caraïbes, sont à l'origine de glissements de terrain et d'inondations catastrophiques qui font au moins 40 000 morts et 400 000 sinistrés, un bilan humain encore imprécis que les risques d'épidémies menacent d'alourdir.

Un « océan » de besoins

Affluant de toutes parts, l'aide internationale n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des besoins du Venezuela, dont l'économie est déjà affectée par une grave récession. Le désastre surprend Hugo Chavez à la dernière étape d'un parcours politique sans faute depuis qu'il a entrepris sa marche vers le sommet du pouvoir, qu'il avait tenté de prendre une première fois par les armes en 1992. Élu en décembre 1998 sur un programme populiste qui a séduit les catégories sociales les plus défavorisées, sensibles à ses diatribes contre l'ancienne classe dirigeante « corrompue », Hugo Chavez a su aussi s'attirer les bonnes grâces des militaires par sa rhétorique nationaliste, une combinaison généralement gagnante en Amérique du Sud. Depuis, il marche avec succès sur les traces de Simón Bolívar, son modèle, père de l'indépendance vénézuélienne et libérateur de l'Amérique latine, dont il s'est manifestement inspiré pour doter le pays d'une nouvelle Constitution, 180 ans après la convocation d'un Congrès constituant qui devait élire Bolívar président : Chavez avait fait élire le 25 juillet une Assemblée constituante très largement acquise à sa cause – 90 % de ses membres sont des chavistes – qui se substituera progressivement aux deux chambres, dominées par l'opposition, pour s'en arroger les pouvoirs le 31 août et préparer une nouvelle Constitution taillée à sa mesure et légitimée par un référendum.

Une révolution démocratique

Dénoncé par l'opposition pour son caractère « étatiste et militariste », le nouveau texte constitutionnel, qui renforce considérablement les pouvoirs du chef de l'État en en permettant notamment la réélection, donne les coudées plus franches au président Chavez pour franchir l'ultime étape d'un processus qui devrait lui permettre de mener à bien sa « révolution démocratique » censée couper l'herbe sous le pied du « projet néolibéral ». Il lui faut en effet encore passer avec succès l'épreuve des grandes élections, présidentielle, mais aussi législatives et régionales annoncées pour mars 2000. Ce scrutin, auquel il se présente pour un mandat de six ans, renouvelable donc en vertu de la nouvelle Constitution, devrait permettre aux Vénézuéliens de changer l'ensemble du personnel politique, en élisant le nouveau Parlement – monocaméral depuis l'abrogation du Sénat le jour même du référendum –, les gouverneurs et les assemblées de province ainsi que les mairies. Le désastre national provoqué par les inondations et ses incidences sur l'économie du pays risquent toutefois, sinon de compromettre les plans de M. Chavez, en tout cas de le contraindre à tempérer son nationalisme, au moment où le Venezuela a plus que jamais besoin de l'aide internationale. Le coût de la reconstruction est en effet estimé entre 15 et 20 milliards de dollars au cours des deux années à venir, une facture très élevée qui pourrait gêner la mise en œuvre de la politique sociale sollicitant largement l'État, prônée par le président Chavez.