Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

L'Amérique entre en campagne

À plus d'un an de l'élection présidentielle de novembre 2000, dans un contexte économique euphorique, démocrates et républicains entrent en campagne pour choisir un successeur à Bill Clinton. Si George W. Bush, plébiscité par les sondages, se présente comme le candidat probable des républicains, les démocrates devront attendre les primaires pour départager le vice-président Al Gore, candidat « désigné », et un « outsider », l'ancienne star de basket Bill Bradley, qui séduit l'opinion par son rejet de la politique-spectacle.

La vie politique américaine a repris son cours normal, déterminé par un calendrier électoral qui retrouve ses droits après l'échec en février au Sénat de la procédure d'impeachment engagée par la majorité républicaine du Congrès contre le président Bill Clinton. Celui-ci devrait donc poursuivre son second et dernier mandat jusqu'à son terme, renvoyant à novembre 2000 les espoirs d'alternance des républicains, qui avaient cru pouvoir utiliser le scandale du « Monicagate » pour déloger avant l'échéance le locataire de la Maison-Blanche dont la popularité aura été à peine affectée par le déballage public de ses frasques amoureuses. Signe de ce retour à la normale sur une scène politique relativement pacifiée, le départ en octobre du procureur Kenneth Starr, qui avait mené la croisade contre le président, semble tourner définitivement la page de ce long feuilleton judiciaire, alors que républicains et démocrates préparent déjà la campagne électorale pour désigner un successeur à Bill Clinton. Pourtant, le scandale, s'il n'a pas provoqué dans l'opinion le sursaut puritain escompté, devrait laisser des traces durables dans des mœurs politiques américaines aspirant désormais à davantage de simplicité et de transparence.

Ainsi, alors que des indices économiques toujours favorables confirment la popularité de Clinton, son successeur à la Maison-Blanche sera néanmoins choisi sur sa capacité de faire de la politique autrement. Les trois principaux candidats déclarés à treize mois de l'élection – le vice-président Al Gore et l'ancienne star du basket Bill Bradley, pour les démocrates ; le gouverneur du Texas George W. Bush, pour les républicains – partagent tous, à des degrés divers, ce souci d'une image plus discrète, rompant résolument avec la politique-spectacle à laquelle s'est prêté Clinton, bon gré mal gré. Même Al Gore, le « dauphin » de Bill Clinton, prend ses distances avec son mentor : s'il assume volontiers l'héritage clintonien, avec une croissance économique en hausse constante – le PIB a progressé en moyenne de 3,5 % entre 1991 et 1998 – et une politique étrangère qui a confirmé le « leadership » américain dans le monde, le vice-président revendique un certain droit d'inventaire, pour ne pas payer le prix de la lassitude des Américains après sept années jalonnées de scandales. Cette émancipation est devenue plus que nécessaire pour le successeur désigné de Clinton depuis que l'ancien sénateur du New Jersey Bill Bradley a annoncé sa candidature à la nomination démocrate pour la Maison-Blanche en septembre, menant campagne sur les thèmes de « l'intégrité, du courage et du leadership » avec une simplicité qui séduit nombre de démocrates. Le 27 octobre, lors de son premier débat télévisé avec Bill Bradley dans le New Hampshire, où se tiendront les premières élections primaires, le 31 janvier 2000, Al Core est ainsi allé jusqu'à exprimer sa « compréhension pour la déception et la colère ressentie envers le président Clinton », qu'il « partage » même si le président est son « ami ». Plus que leurs positions de fond, c'est le style qui a séparé les deux rivaux démocrates dans cette première rencontre sans vainqueur. Et il semble que chez leurs adversaires républicains, le style fasse aussi toute la différence.

« La génération du cœur »

Favori des sondages, George Bush Junior, le fils de l'ancien hôte de la Maison-Blanche, entré en campagne le 12 juin à Cedar Rapids, dans l'Iowa, qui, avec le New Hampshire, accueillera les premières primaires du Parti républicain, prétend incarner « le conservatisme de l'esprit et la générosité du cœur ». À cinquante-deux ans, George W. Bush, à qui sa popularité et son aptitude exceptionnelle à collecter des fonds électoraux devraient assurer la nomination de son parti, prend pour sa part ses distances avec le radicalisme de la majorité républicaine au Congrès, qui s'est discréditée avec la croisade dispendieuse menée contre Clinton et le fiasco de l'impeachment. Se proclamant plus proche du peuple, il affiche, sur les problèmes de l'éducation et des minorités ethniques, l'accès aux services de santé, la justice sociale ou encore l'évolution des mœurs, chasses gardées des démocrates, des positions plus libérales propres à séduire le centre, au risque de déplaire au courant le plus impopulaire du Parti républicain issu de la « révolution conservatrice » qu'avait menée Newt Gingrich en 1994 à Washington. Ce recentrage, qui n'est pas sans rappeler celui opéré par Clinton en 1992 qui verra triompher les « nouveaux démocrates » contre les éléments les plus radicaux de son parti, semble répondre aux exigences d'une opinion américaine éprise de consensus. En professant un conservatisme « à visage humain » qui prétend réhabiliter auprès des républicains n'ayant que « mépris » pour l'État son rôle de puissance publique contribuant à régler des problèmes sociaux trop souvent négligés par son parti, George Bush junior s'engage aussi à moraliser l'exercice du pouvoir, sans verser dans le puritanisme, mais sans non plus remettre en question les exécutions capitales, dont son État du Texas détient le record. Mais il a face à lui des démocrates dont la campagne est dynamisée par l'arrivée de Bradley, qui entend déplacer vers la gauche le parti de la générosité.