Journal de l'année Édition 2000 2000Éd. 2000

Eltsine joue son va-tout au Caucase

Début août, des islamistes venus de Tchétchénie s'emparent de localités au Daguestan, où ils proclament une « république islamique » du Caucase. Rallumant la guerre du Caucase, ils donnent l'occasion au Kremlin de régler ses comptes avec Grozny. Rattrapée par la guerre dont les ondes de choc provoquent des attentats sanglants en Russie, la Tchétchénie reste la carte majeure du Kremlin, à la veille d'élections qui risquent de retirer le pouvoir au clan Eltsine.

Le 7 août, des milliers de combattants islamistes puissamment armés investissent les régions montagneuses du Daguestan frontalières de la Tchétchénie, par où ils se seraient infiltrés. L'armée russe envoie aussitôt l'artillerie lourde et l'aviation pour déloger les combattants qui proclament une « république islamique » dans les territoires « libérés » de l'occupant russe, leur ambition affichée étant de jeter les fondations d'une fédération des musulmans du Caucase.

Des mots d'ordre qui renvoient l'écho de la longue guerre que livra au siècle dernier l'armée tsariste avant de prendre le contrôle du nord du Caucase, vers 1880. Ravivant la crainte d'une contagion islamiste dans ses marches caucasiennes fragilisées par la guerre de Tchétchénie de 1994-1996, qui se solda par la défaite de l'armée russe et l'indépendance de fait de la république séparatiste, le défi lancé par les commandos conduits par le Tchétchène Chamil Bassaïev ébranle un pouvoir russe déjà en difficulté ; pour relever le défi, le Kremlin appellera à la tête du gouvernement le chef du FSB (l'ex-KGB), Vladimir Poutine, nommé le 9 août en remplacement de Sergueï Stepachine, remercié alors qu'il se trouvait au Daguestan pour préparer la riposte militaire. Les états de service caucasiens peu glorieux de M. Stepachine, qui porte une lourde part de responsabilité dans les défaites infligées quatre ans avant aux Russes, expliquent en grande partie sa mise à l'écart, annonciatrice d'une nouvelle guerre dont M. Poutine s'affirme très vite comme le commandant en chef. Impliquant d'importants moyens, l'opération de police menée au Daguestan évolue vers une véritable guerre contre la Tchétchénie, donnant l'occasion à l'armée russe de laver l'affront subi en 1996 et au pouvoir de regagner une popularité perdue.

Le feu couvait certes en Tchétchénie, où des signes avant-coureurs d'une confrontation avec Moscou s'étaient multipliés, donnant lieu à des accrochages répétés en juillet sur la frontière avec le Daguestan. Élu président en janvier 1997, le commandant tchétchène modéré Aslan Machkadov ne contrôle plus les seigneurs de la guerre qui tentent de le renverser en septembre 1998 et auxquels il doit concéder l'application la plus stricte de la charia. Il subit aussi les pressions des Russes, qui l'accusent d'avoir transformé la république séparatiste en un foyer du crime organisé et du terrorisme international. L'enjeu pétrolier ajoute aux tensions : l'oléoduc qui achemine l'or noir de l'Azerbaïdjan et de la mer Caspienne jusqu'au terminal russe sur la mer Noire et, au-delà, approvisionnant les marchés occidentaux, traverse le territoire tchétchène, où le flux en est régulièrement interrompu. Depuis l'accord de paix du 31 août 1996, la Tchétchénie est devenue une zone de non-droit, ouverte au prosélytisme des intégristes musulmans, livrée aux bandes organisées qui multiplient les prises d'otages, notamment de membres d'ONG, et aux trafiquants de tout poil qui profitent du blocus exercé par Moscou pour s'enrichir, avec la complicité de la mafia et parfois même des militaires russes, tandis que la population s'enfonce dans la misère. Une situation explosive, liée aux ambiguïtés du traité de paix signé au Kremlin par MM. Eltsine et Machkadov le 12 mai 1997 : les Russes considèrent la Tchétchénie comme partie intégrante de la Fédération russe jusqu'à la discussion du statut final, renvoyée à cinq ans, tandis que les Tchétchènes estiment avoir soustrait leur république – de facto indépendante – à l'emprise de la Russie, qui n'a pas honoré son engagement de financer sa reconstruction.