Le bogue de l'an 2000 : plus de peur que de mal

Comparable à la grande terreur de l'an mille de l'Incarnation, dont parle Michelet, une nouvelle grande peur millénariste frappe le monde à la veille du 1er janvier 2000. Mais, au bout du compte, le bogue n'a pas eu lieu.

La civilisation de l'informatique a affronté sa première crise majeure. Le paradoxe est que la crainte qu'elle a suscitée (éviter l'avion, les ascenseurs, des accidents dans les hôpitaux, la peur atomique, un krach boursier mondial, une menace terroriste...), à l'aube d'un siècle que l'on annonce religieux, se fonde sur un fait, la programmation fautive d'une date dans les ordinateurs, et dans un domaine, la technologie informatique qui régit la vie quotidienne, où le spirituel n'est, a priori, pas directement impliqué.

Un bogue est un défaut de fabrication ou une erreur de programmation qui affecte le fonctionnement d'un logiciel. C'est la transcription française d'un mot anglais, « bug », qui signifie insecte, punaise, cafard. L'expression est attribuée à Grace Hopper, officier de la Marine américaine et pionnière de l'informatique à l'époque où les ordinateurs étaient gigantesques, jusqu'à 100 m2 de superficie, et constituaient des repères à cafards, qui se coinçaient parfois dans la machinerie informatique en provoquant des perturbations appelées bugs.

Une bombe à retardement

Le bogue de l'an 2000 n'est pas, à proprement parler, un défaut de fabrication ou une erreur de programmation, mais la connaissance d'une décision technologique délibérée prise dans les années 1950-1960. C'est une réalité à laquelle de nombreuses entreprises et certains particuliers vont être confrontés. Le bogue, c'est le risque potentiel qu'un matériel connaisse des troubles de fonctionnement au moment du passage à l'an 2000. Pourquoi ? Parce que certains systèmes électroniques programmables ne sont pas capables d'accepter des dates postérieures à l'année 1999. En effet, pour des raisons d'économie de mémoire dans les ordinateurs, et donc de coût, les informaticiens ont pris l'habitude, dans les débuts de l'informatique, de coder la date sous le format JJ.MM.AA, c'est-à-dire six chiffres : deux pour le jour, deux pour le mois et deux pour l'année. Ainsi, le 31 décembre 1999 est encore souvent codé 31.12.99, les chiffres du siècle (19) étant implicites. Dans la même logique, le 1er janvier 2000 sera codé 01.01.00, mais ces deux derniers chiffres risquent alors d'être interprétés comme étant l'année 1900. Tout le problème de l'an 2000 réside dans cette erreur possible d'interprétation ! Comment réagiront les ordinateurs ? Refuseront-ils toutes instructions, cesseront-ils toute activité, détruiront-ils des fichiers ?

Le bogue ne concerne pas seulement les systèmes informatiques. Tout équipement dont le fonctionnement fait appel à une horloge électronique interne est potentiellement concerné. Sur les appareils de la vie courante, le bogue restera limité. En fait, il ne concerne que les équipements dont les systèmes électroniques et informatiques font intervenir des dates : robots, chaînes de fabrication, machines-outils, fax, caisses enregistreuses, ascenseurs, Digicodes, magnétoscopes, systèmes de sécurité et d'incendie, de contrôle d'accès, de gestion du chauffage, de l'électricité. Et, même dans le cas d'appareils programmables, seuls le jour et le mois sont généralement utilisés. Il y a donc un risque assez faible de panne. Les contrôles effectués par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) sur les biens d'équipement ont confirmé qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter : ascenseurs, chaudières individuelles et fours à micro-ondes, même programmables, ne devraient pas boguer. Il est toutefois impossible de connaître le fonctionnement interne de tous les équipements du marché. Mais, dans le pire des cas, si des équipements non compatibles avec le passage à l'an 2000 n'ont pas été corrigés ou remplacés, il aurait pu en résulter, d'une part, des dysfonctionnements d'équipements couramment utilisés dans la vie quotidienne : ces équipements peuvent tout simplement s'arrêter ou continuer de fonctionner, mais avec des valeurs faussées ; d'autre part, la défaillance de fournisseurs de services essentiels à la vie courante (banques, assurances, énergies, transports, etc.). Pour sa part, le Club informatique des grandes entreprises françaises (CIGREF) a classé les incidents imputables au passage à l'an 2000 en quatre catégories : dysfonctionnement applicatif, dysfonctionnement système, écrasement des sauvegardes, pollution des données. Ce classement indique que le problème touche aussi bien les logiciels que les couches plus basses des systèmes informatiques professionnels (SGBD, systèmes d'exploitation...) et qu'il sera encore plus difficile de mettre en conformité les applications interfacées avec d'autres systèmes.

Trois scénarios possibles

Optimiste : le week-end de l'an 2000 se passe bien, on dénombre de rares pannes majeures des infrastructures nationales. L'approvisionnement en électricité et en eau courante est assuré, les télécommunications fonctionnent. À partir du lundi 3 janvier, les pannes informatiques constatées dans les entreprises sont rapidement réparées et n'entraînent qu'un minimum de pertes de temps. Les marchés boursiers et financiers poursuivent leur progression.