Le cannabis en thérapeutique

Depuis une période très reculée, le cannabis – ou chanvre indien – a été utilisé par l'homme comme traitement de la douleur et d'innombrables pathologies. Le cannabis compte ainsi au nombre des panacées dont l'intérêt en thérapeutique s'imposa pendant des siècles. Si les médecins sont longtemps demeurés libres de prescrire de l'extrait ou de la teinture de cannabis, la prohibition mondiale portant sur cette plante, inscrite sur la liste des stupéfiants, a interdit cette pratique que consacrait l'histoire. Cependant, depuis une quinzaine d'années environ, des demandes de patients comme de médecins se font pressantes pour voir reconnu officiellement l'intérêt thérapeutique du cannabis et de ses principes actifs, les cannabinoïdes.

Cannabis est le nom scientifique du chanvre, une plante connue sous deux formes étroitement liées. Les variétés dites « textiles » sont cultivées pour leurs fibres, matière première de la production de tissus et de cordages. Les variétés communément désignées comme chanvre « indien » produisent quant à elles une sécrétion glandulaire, ou « résine », riche en substances chimiques de la famille des cannabinoïdes (cf. encadré). Ces variétés sont couramment utilisées en raison de leurs propriétés psychoactives bien qu'elles soient inscrites sur la liste des stupéfiants.

Une ancienne panacée

Si diverses sociétés traditionnelles, notamment en Afrique, recourent encore au cannabis pour essayer, par exemple, de traiter les morsures de serpents ou pour insensibiliser les femmes lors d'un accouchement difficile, notre culture a renoncé à utiliser cette plante en thérapeutique. Pourtant, 2 000 ans avant Jésus-Christ, on trouve déjà trace de l'usage du cannabis en Chine dans des indications variées : fièvre du paludisme, douleurs rhumatismales, douleurs menstruelles, constipation.

En Inde, la résine de cannabis était administrée comme antipyrétique, mais également pour lutter contre l'insomnie, la dysenterie, comme antimigraineux et pour stimuler l'appétit. Les témoignages sur l'usage du chanvre indien en médecine occidentale demeurent rares jusqu'au xixe siècle, qui constitua l'âge d'or de son utilisation médicale, dans la foulée de l'intérêt que lui vouèrent alors nombre d'artistes et d'amateurs d'orientalisme.

Ce fut un médecin britannique, William B. O'Shaughnessey, en poste à Calcutta, qui réalisa les premières études expérimentales sur l'usage thérapeutique du cannabis cultivé en Inde. Le cannabis apparut en 1854 dans la Pharmacopée américaine. Indiqué dans le traitement d'une centaine de maladies, il était alors disponible dans toutes les pharmacies. Ses indications gagnèrent un domaine de la thérapeutique jusqu'alors réservé à l'opium, car il donnait moins d'effets psychiques indésirables et moins de risque de dépendance. Toutefois, un désintérêt se manifesta à la fin du xixe siècle pour cette plante, car les jeunes médecins privilégiaient les médicaments d'origine industrielle, notamment les alcaloïdes injectables (morphine, cocaïne), aux effets plus rapides et plus spectaculaires. De plus, les mesures de prohibition prises aux États-Unis dans les années 30 à rencontre du cannabis, accusé de constituer, sous la désignation de marijuana, une drogue puissante et toxique, vinrent limiter puis empêcher son utilisation en thérapeutique. La prescription de cannabis y fut interdite à partir de 1937. Il fut supprimé de la Pharmacopée de ce pays en 1941 puis de la Pharmacopée française en 1953. En 1960, l'OMS avisa la commission des stupéfiants de l'ONU qu'il n'existait plus de raisons scientifiques à valider la prescription de préparations à base de cannabis.

Des bénéfices à évaluer

La banalisation actuelle de l'utilisation du cannabis comme « drogue » n'explique que pour partie la popularité dont bénéficie son usage thérapeutique. Des améliorations parfois spectaculaires que l'usage du cannabis a apporté à des patients souffrant de pathologies graves et invalidantes, pour empiriques qu'elles soient, sont venues justifier le regain d'intérêt porté à cette plante. Des témoignages nombreux, d'origine essentiellement américaine, soulignent l'intérêt du cannabis dans l'amélioration de certaines pathologies. Les indications essentielles ciblées par la recherche clinique sur les propriétés du cannabis sont l'anorexie des patients atteints du sida, le traitement de certains types de douleur (celle des membres fantômes des amputés, notamment), des maladies neurologiques que caractérise une spasticité musculaire difficilement contrôlable par les thérapeutiques conventionnelles (sclérose en plaques, par exemple) et, peut-être, le glaucome résistant aux traitements conventionnels. Le traitement des nausées et vomissements des patients cancéreux a fait l'objet d'investigations maintenant anciennes. Dans la pratique, de nombreux pays commencent à autoriser des essais thérapeutiques ciblés sur le cannabis et ses principes actifs. Aux États-Unis, ce sont plus de 35 États qui admettent aujourd'hui la possibilité de recourir au cannabis en médecine, mais le principe n'est cependant pas reconnu au niveau fédéral. Dans la plupart des cas, il s'agit de protocoles « compassionnels » pour lesquels le médecin ne prescrit pas, au sens strict, le produit, mais le conseille seulement. Les patients peuvent se le procurer auprès de « clubs » spécialisés. En Angleterre, la British Médical Association a demandé officiellement en novembre 1997 une modification des lois afin d'autoriser les scientifiques à utiliser certains dérivés du cannabis dans les indications sensibles. De fait, les premiers essais cliniques destinés à évaluer l'efficacité des cannabinoïdes chez des patients souffrant de douleurs postopératoires et de sclérose en plaques y sont maintenant programmés.

Médicaments à base de cannabinoïdes et thérapeutique

Des programmes de recherche ont permis de mieux comprendre les mécanismes d'action des cannabinoïdes et de développer des analogues de synthèse, dont, notamment, la nabilone, un produit commercialisé aux États-Unis et en Angleterre dans la prévention et le traitement des vomissements chez les patients cancéreux (Cesamet®). L'un des produits les plus actifs du cannabis, le THC, sous forme d'un produit pur, administré par voie orale à la dose de 15 à 20 mg, est utilisé en thérapeutique. Il est synthétisé par l'industrie sous la dénomination internationale de dronabinol (la spécialité est le Marinol®). Commercialisé depuis 1985 aux États-Unis, il permet de contrôler les nausées et les vomissements chez des patients qui ne répondent pas aux traitements conventionnels.