Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Les élections ont, en second lieu, placé sur le devant de la scène une question traditionnellement tenue pour subalterne sous la Ve République, celle du choix du futur Premier ministre : au premier tour, les Français ont éliminé M. Juppé ; au second, ils ont choisi M. Jospin. Ce dernier peut donc se vanter d'être politiquement, sinon constitutionnellement, le premier chef de gouvernement de la Ve République à avoir été élu au suffrage universel direct et d'être ainsi devenu l'égal du président de la République. Cette égalité, qui fait de lui, selon sa propre expression, « l'une des deux têtes de l'exécutif » et qui l'autorise à cosigner des communiqués avec le chef de l'État, dissimule une supériorité de fait dans la mesure où l'élection du Premier ministre, c'est-à-dire sa consécration par le suffrage universel, est plus récente que celle de M. Chirac.

Il y a enfin la durée. Les deux premières cohabitations s'étaient inscrites dans le temps court d'une campagne présidentielle à peine distendue. Elles avaient affecté, l'une et l'autre, des queues de septennat et revêtu le caractère de batailles de succession. La cohabitation, modèle 1997, intervient deux ans seulement après l'élection de Jacques Chirac à la présidence de la République et tend donc à s'imposer comme le régime de croisière du nouveau septennat. Elle domine désormais le règne et non pas simplement l'interrègne. Que restera-t-il de l'autorité présidentielle au bout de cinq ans d'un exercice aussi déséquilibré des pouvoirs ? Sauf dans l'hypothèse d'un échec brutal de l'équipe socialiste, sans doute moins, beaucoup moins qu'en 1988 qui vit la victoire de François Mitterrand effacer rétrospectivement l'abaissement de sa fonction lié à la défaite de la gauche deux ans plus tôt, et moins également qu'en 1995 qui clôtura par une guerre des Premiers ministres le règne d'un monarque épuisé par l'Histoire et par la maladie, sans altérer pour autant le prestige de la Couronne.

En vérité, le régime sort moins brisé que désarticulé par les bouleversements électoraux et politiques de 1997. La Ve République a toujours autorisé deux lectures, parlementaire et présidentielle, de l'équilibre des pouvoirs. La période qui va de 1958 à 1986 aura vu le triomphe apparemment irrésistible de l'interprétation présidentielle. Sommes-nous, depuis une dizaine d'années, en train de basculer dans une conception néoparlementaire de la République gaullienne ? Ce serait sans doute une erreur de le penser car, quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle de 2002, Lionel Jospin, Jacques Chirac ou un « troisième homme », on assistera à un nouveau retour de balancier en direction de l'Elysée. La République française n'a pas à proprement parler changé de nature en 1997. Elle a simplement franchi une nouvelle étape dans un processus de dédoublement qui la conduit, selon les moments, à enfanter des formes d'équilibre institutionnel et politique contradictoires. Étrange Ve République qui, jadis conçue par un paranoïaque de génie, semble désormais gagnée par une forme sévère de schizophrénie !

Jean-Louis Bourlanges
député européen