Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Libéralisation en Iran ?

Il a suffi que Mohamad Khatami incarne l'espoir de petites ouvertures pour que, pour la première fois dans l'histoire de la jeune République islamique, l'élection présidentielle du 23 mai soit le théâtre d'une véritable mobilisation. Contre toute attente, l'ancien ministre de la Culture l'a emporté, balayant son rival soutenu par la droite conservatrice. Principal enseignement du scrutin, les électeurs ont rejeté la politique du gouvernement.

De l'amélioration des conditions de vie à une libéralisation des mœurs en passant par la réforme des structures économiques, la lutte contre la corruption, le respect des droits de l'homme ou encore le pluralisme économique, l'éventail des revendications qui ont porté à la présidence Mohamad Khatami est bien vaste. Surtout, il dit qu'être l'heureux candidat de la société civile cristallise autour de l'impétrant des aspirations si éclatées et des espoirs si divers qu'un éventuel échec s'en trouverait d'autant plus aggravé.

On l'aura compris, la tâche à laquelle se trouve désormais confronté M. Khatami n'est pas des plus simples. Porté par une vague de protestations contre la politique du gouvernement, M. Khatami a bénéficié du soutien des radicaux islamistes, d'une part, et de celui des libéraux modernistes, de l'autre. Rappelons toutefois qu'il s'agit en la matière d'une espèce de collusion objective de deux factions politiques – partageant une même déception à l'endroit du pouvoir en place – plutôt que d'une alliance entre forces constituées, du type de celle qui prévaut en pays de multipartisme. En effet, même si l'idée commence à faire son chemin, et pourrait être reprise à son compte par le président, il n'y a pas de partis en Iran.

Un soutien hétérogène

Le nouveau président devrait pouvoir compter avec le soutien d'une partie de la hiérarchie religieuse, du moins celle qui se montre fondamentalement hostile à la confusion entre politique et religion. M. Khatami pourra sans doute bénéficier de l'appui de ce que l'on appellerait dans la terminologie chrétienne le « bas clergé », dans la mesure où il appartient à la lignée du Prophète : intellectuel musulman respectable, il serait ainsi en position de récupérer le message « moderniste » de Khomeyni. Enfin, rien ne permet d'exclure que le corps des pasdarans (les désormais célèbres gardiens de la révolution) se solidarise avec le président élu. Parce qu'il est lui-même religieux et fils de religieux, M. Khatami peut prétendre endosser les habits du rassembleur. Sa première conférence de presse ès qualités a montré un homme dont le credo de base est de respecter tous les droits que la Constitution de la République islamique reconnaît aux citoyens. En clair, les abus ne sont que le produit de dérives : revenir à la Constitution implique une lecture à la lettre et, donc, un aggiornamento du régime. Le chef de l'État en a indiqué la pente en se prononçant pour une « société de droit » qui conjuguerait la « diversité des opinions à l'intérieur » et « l'unité et la solidarité à l'extérieur », une société où « toutes les libertés civiles, sociales et culturelles seront codifiées ». Dans son esprit, cette codification se fera par rapport à l'arbitraire qui est toujours la règle et qu'incarnent la police mais aussi les groupes de pression tels les hezbollahis, tous « commandeurs du bien » et « censeurs du mal ». M. Khatami aura rapidement compris qu'il était sous la haute surveillance du clan des perdants. L'ayatollah Ahmad Janati, le secrétaire du Conseil des gardiens, un organisme chargé de s'assurer de la conformité des lois avec les principes de l'islam, a pu déclarer : « Il faut d'abord plaire à Dieu. En deuxième position vient notre éminent dirigeant, l'ayatollah Ali Khamenei. Ensuite vient l'électorat. » On comprend que, dans ces conditions, sa tâche ne sera guère aisée. Il lui faudra en effet pallier les insuffisances et les échecs des réformes économiques engagées par le président sortant dès le début des années 90 tout en sachant que le débat économique oppose des forces mues non seulement par l'idéologie, mais aussi par des intérêts concrets.

L'ouverture sur l'Occident

Concernant la question de l'ouverture en direction de l'Occident, M. Khatami défend une position qui tranche singulièrement avec les messages qui parviennent habituellement de Téhéran. Selon lui, l'ouverture ne doit pas être vécue comme une aliénation, mais plutôt comme un enrichissement. Dans un article publié en avril dans le quotidien saoudien El Hayat, le président pouvait écrire : « Certes la religion est chose sacrée, mais il faut admettre que nos représentations de la religion sont forcément humaines. » Dès lors, soulignait-il, chacun est amené à faire preuve d'« humilité » ; et d'ajouter : « Nous [musulmans] devons jeter sur l'Occident un regard neutre, exempt d'hostilité et d'amour. Nous devons apprendre à le connaître (...) Nous devons à la fois être vigilants quant à ses dangers et profiter de ses réalisations et de ses données humaines. Cela est possible si nous atteignons une maturité historique et intellectuelle. Nous pourrons alors (...) choisir et assumer la responsabilité de notre choix. » Sans doute l'Occident verra-t-il là un signe encourageant pour l'avenir de ses relations avec Téhéran. Quoi qu'il en soit, celles-ci ne paraissent pas prioritaires aux yeux du chef de l'État, et on se méprendrait à attendre quelques initiatives spectaculaires en la matière. De plus, sur le front des questions symboliques, comme l'affaire de la fatwa contre Salman Rushdie ou les relations avec les États-Unis, nul ne peut ignorer que les adversaires du président conservent un pouvoir de nuisance dont on ne peut imaginer qu'il disparaisse par la seule volonté d'un homme, fut-il président de la République. Pour bien des observateurs avisés de la « chose » iranienne, M. Khatami passe pour être quelque peu naïf parce qu'il sous-estimerait les pesanteurs du pays, son conservatisme idéologique, économique et politique. On peut aussi espérer qu'il saura ne pas perdre l'élan de la vague qui l'a porté au pouvoir.

Philippe Faverjon

L'électorat de Khatami

Alors que l'on estimait qu'ils étaient totalement désabusés par le jeu politique en vase clos des factions au pouvoir, les jeunes – qui bénéficient du droit de vote à l'âge de quinze ans révolus – se sont mobilisés massivement pour le candidat Mohamad Khatami. Celui-ci a également bénéficié du soutien d'une partie de l'électorat féminin et a été plébiscité par les intellectuels. Ces derniers se sont souvenus du ministre de la Culture dont les petites ouvertures lui avaient alors valu de perdre son poste en 1992.