Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

La dissolution : chronique d'un échec et d'un succès

Le 21 avril, pour donner un « nouvel élan au pays », Jacques Chirac dissout l'Assemblée nationale. Cinq semaines plus tard, la droite fracassée se retrouve dans l'opposition, et un socialiste, Lionel Jospin, à l'hôtel Matignon. Un vote sanction pour le chef de l'État à qui les Français ont reproché, deux ans après son élection à l'Élysée, de ne pas avoir tenu ses promesses de candidat et d'avoir soutenu envers et contre tout un Premier ministre trop impopulaire, Alain Juppé.

« Aujourd'hui, je considère, en conscience, que l'intérêt du pays commande d'anticiper les élections. J'ai acquis la conviction qu'il faut redonner la parole à notre peuple afin qu'il se prononce clairement sur l'ampleur et le rythme des changements à conduire pendant les cinq prochaines années. Pour aborder cette nouvelle étape, nous avons besoin d'une majorité ressourcée et disposant du temps nécessaire à l'action. » Quand, le 21 avril, à 20 heures, à la télévision, le chef de l'État, usant des pouvoirs que lui confère l'article 12 de la Constitution et invoquant les rendez-vous européens à venir, annonce sa décision de dissoudre l'Assemblée nationale, son choix surprend. Certes, depuis plusieurs semaines, les rumeurs allaient bon train, mais personne ne voulait y croire. Pourquoi, à un an de la fin de la législature et alors qu'il dispose d'une large majorité parlementaire (464 députés sur 577), Jacques Chirac courrait-il un tel risque alors qu'aucune crise majeure ne secoue le pays et que son Premier ministre, Alain Juppé, bat des records d'impopularité dans les sondages ? En réalité, le président s'est laissé convaincre par son entourage – notamment, Dominique de Villepin, le secrétaire général de l'Élysée – et par l'Hôtel Matignon qu'attendre l'échéance normale serait suicidaire pour la majorité. Selon ces conseilleurs, la nécessité de répondre aux fameux critères de Maastricht pour la mise en place de l'euro provoquera, dès le budget 98, un tour de vis économique fatal à un gouvernement déjà contesté. D'autant plus fatal que les prévisions relatives aux comptes sociaux sont mauvaises, qu'aucune amélioration de l'emploi n'est attendue et que des investigations judiciaires menacent des personnalités proches du pouvoir. Dissoudre, aujourd'hui, plaident-ils, présente plusieurs avantages : d'abord, éviter l'écueil d'une rigueur programmée ; ensuite, prendre de court l'opposition de gauche. Et le Front national de crier au « hold-up électoral ».

Le Parti socialiste connaît, il est vrai, à l'époque, un passage à vide pour ne pas avoir su accompagner la mobilisation du « peuple de gauche » contre le FN ; de plus, son programme n'en est qu'à l'état de projet général, et aucun accord ou compromis n'est encore signé avec les communistes et les Verts. En prime, dans son souci de rénover le parti, Lionel Jospin a choisi, peu de temps avant cette annonce, de largement renouveler les candidats du PS aux législatives, avec, notamment, un tiers de femmes. Résultat : face aux députés de la majorité qui bénéficient de la prime aux sortants, nombre de candidats socialistes sont des inconnus.

L'hypothèque Juppé

Les électeurs sont convoqués les 25 mai et 1er juin pour une campagne éclair, en plein mois de mai, le mois des « ponts », qui ne les passionnera pas vraiment. Pourtant, très vite, sur fond de modernité de l'État et d'enjeux européens, la campagne va prendre un tour inattendu. Parfois brutal et en aucun cas, comme l'avait annoncé le Premier ministre, « joyeux ». Au « nouvel élan » et à l'« élan partagé » de la droite, la gauche va opposer son slogan « changeons d'avenir ». Sous-estimant le phénomène de rejet dont Alain Juppé est l'objet, l'Élysée, en dépit des voix qui s'élèvent dans la majorité, l'intronise chef de guerre et – mieux – laisse entendre que, en cas de victoire, il sera reconduit à Matignon. Pourquoi, dans ces conditions, dissoudre si rien ne doit changer après, ironise l'opposition, qui n'aura de cesse de « cibler » ce Premier ministre si impopulaire ? Une gauche qui, dans l'urgence, arrive à faire son unité. Moins de dix jours après l'annonce de la dissolution, Lionel Jospin signe des accords avec les communistes et les Verts, et s'impose comme le leader naturel de cette « gauche plurielle ». La campagne se personnalise et prend, deux ans après la présidentielle, des allures de troisième tour, d'autant que Jacques Chirac volera à plusieurs reprises au secours de sa majorité en difficulté. Sans succès.