Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Nouveau gouvernement en Inde

Le 30 mars, le parti du Congrès décidait de retirer son soutien à la coalition minoritaire de treize partis dirigée par le chef du gouvernement Deve Gowda. À l'exception des nationalistes hindous du Parti du peuple indien (BJP), personne ne souhaitait retourner devant les électeurs pour sortir de l'impasse. Aussi la nomination d'Inder Kumar Gujral au poste de Premier ministre a-t-elle permis de mettre un terme à trois semaines de crise.

La démission de Deve Gowda, dont le Congrès exigeait le départ, a conduit le parti des Nehru-Gandhi à renouveler son soutien au front uni. Si le Premier ministre change, le « front » reste toutefois au pouvoir, et la composition du gouvernement demeure pratiquement inchangée : seule modification, mais de taille, le très libéral ministre des Finances, Palanippan Chindamabaram, n'a pas souhaité être reconduit dans ses fonctions. Il appartient au nouveau Premier ministre, qui conserve le ministère des Affaires étrangères, de prendre en charge ce délicat portefeuille. Un cumul des fonctions qui a semblé satisfaire à la fois les milieux politiques et le monde des affaires.

La « doctrine Gujral »

Après dix mois passés à la tête des Affaires étrangères, I.K. Gujral s'est assuré une flatteuse réputation de négociateur. On lui sait gré d'avoir été l'architecte d'un rapprochement de l'Inde avec ses voisins, au terme d'une diplomatie unanimement qualifiée d'imaginative. Au point que l'on parle volontiers en Inde d'une « doctrine Gujral ». Il est vrai que le bilan de M. Gujral est impressionnant : signature d'un traité avec le Népal à propos d'un barrage controversé sur la rivière Mahakali, conclusion d'un accord similaire avec le Bangladesh liquidant un ancien contentieux au sujet du partage des eaux du Gange, reprise du dialogue avec le Pakistan après un silence de trois ans entre les deux rivaux du sous-continent. À la fin du printemps, l'évolution des négociations entre New Delhi et Islamabad – jusqu'alors empoisonnées par la question du Cachemire – paraissait sur le point de déboucher sur un véritable apaisement. L'action de I.K. Gujral à la tête de la diplomatie indienne a contribué à modifier l'image de l'Inde, souvent perçue par les pays d'Asie du Sud-Est – à juste titre – comme un « grand frère » envahissant, incarnation d'un pouvoir régional sûr de lui et dominateur, qui, à plusieurs reprises dans le passé, l'a conduit à dicter ses conditions aux nations plus petites et plus faibles de la région. De toute évidence, la « doctrine Gujral » marque une rupture avec cette tendance. On a pu le vérifier, début avril, dans un discours prononcé par le nouveau chef du gouvernement au Sri Lanka. À cette occasion, ce dernier a défendu une politique de compromis avec ses voisins en affirmant que toute négociation ne repose pas nécessairement sur l'espoir d'une « réciprocité ». Peut-être cette modération de New Delhi parviendra-t-elle aussi à résorber les guérillas rémanentes qui agitent toujours les confins du Nord-Est. En proposant, le 19 mai, à tous les groupes armés de cette région des négociations sans conditions, M. Gujral aura eu sans aucun doute un geste habile dans un environnement géopolitique désormais plus favorable à l'Inde.

Un vote de confiance

Le gouvernement du nouveau Premier ministre indien a obtenu, le 22 avril, un vote de confiance du Parlement. Une épreuve sans surprise dans la mesure où le front uni – coalition de centre gauche dont il est issu –, même s'il ne dispose pas d'une majorité à la Chambre, bénéficie cependant de l'appui du parti du Congrès : ce dernier se sera prononcé, une fois de plus, pour un « soutien sans participation ». On ne retiendra de cette formalité que l'opposition active du BJP dont les chefs voient en M. Gujral un dangereux communiste – ce qu'il fut en effet au temps de la lutte contre les Britanniques, avant de décider de rejoindre le parti du Congrès et de s'en faire expulser par Indira Gandhi. Les nationalistes hindous lui reprochent également, et ce n'est pas là le moindre de leurs griefs, de conduire une politique par trop favorable au rapprochement avec l'ennemi pakistanais. Il reste que, parmi les nombreuses tâches qui attendent le chef du gouvernement, celle de convaincre les responsables des treize partis du front uni de surmonter leurs différences idéologiques et personnelles ne sera pas la moins délicate. On se souvient que de nombreuses dissensions au sein de la coalition avaient bien souvent compliqué la bonne marche du cabinet dirigé par son prédécesseur. Sur le plan économique, les partisans du libéralisme n'ont pas manqué, eux aussi, de manifester quelques inquiétudes. L'arrivée aux affaires de cet homme, plutôt marqué à gauche, et qui fut ambassadeur à Moscou lorsque l'Inde entretenait avec l'URSS des relations privilégiées, pouvait à leurs yeux être lourde de conséquences sur le processus des réformes de l'économie. Aussi I.K. Gujral s'est-il employé à rassurer les investisseurs en déclarant, le 21 avril, qu'il entendait « approfondir et élargir » ces réformes d'inspiration libérale lancées, six ans plus tôt, par le gouvernement du Congrès sous la direction de Narasimha Rao.