Journal de l'année Édition 1998 1998Éd. 1998

Des chefs-d'œuvre d'art khmer au Grand Palais

Pour la première fois, les chefs-d'œuvre des deux plus célèbres collections d'art khmer – celles du musée national de Phnm-Penh, au Cambodge, et du musée national des Arts asiatiques, à Paris – ont été réunis. Le Grand Palais a ainsi présenté un admirable ensemble de sculptures du viie au xvie siècle, dont certaines ont été spécialement restaurées pour l'occasion.

Il aura fallu de longues tractations avec le Cambodge, toujours secoué par des conflits, pour réaliser cette exposition qui relève d'un véritable défi : rassembler les plus belles œuvres du musée de Phnom Penh – soixante-six au total – avec celles du musée Guimet, à Paris. La fascination exercée depuis le siècle dernier par les énigmatiques temples d'Angkor, enfouis sous une végétation luxuriante, ainsi que par l'histoire de cette civilisation de l'Asie du Sud-Est a donné tout son attrait à l'exposition.

Le résultat est à la hauteur de l'attente : dix siècles d'art khmer ont été résumés dans les salles fonctionnelles du Grand Palais, permettant de découvrir de gigantesques statues aux proportions parfaites, de fascinants visages dont les sourires reflètent toute l'intériorité bouddhique et des éléments d'architecture issus des monuments de l'ancienne capitale khmère. Exclusivement d'inspiration religieuse, ces œuvres en bronze, bois et surtout en grès, se caractérisent par leur grandeur, leur perfection formelle et une iconographie d'une grande richesse, illustrant un art beaucoup plus complexe qu'on ne le pense généralement.

L'art khmer appartient à la famille des arts dits « indianisés ». Les échanges commerciaux entre le sous-continent indien et l'Asie du Sud-Est, dans les premiers siècles de notre ère, entraînèrent l'adoption par le Cambodge de la langue sanskrite et des religions – le bouddhisme et l'hindouisme – de l'Inde. Au cours des siècles et notamment à partir du viie siècle, la sculpture khmère se libéra cependant du modèle indien pour trouver un langage plastique tout à fait original, empreint tour à tour de majesté et de force, de sérénité et parfois même de sensualité, telles les fameuses apsaras, ces nymphes visibles sur les bas-reliefs.

Les trois périodes de l'art de l'ancien Cambodge

L'art khmer est traditionnellement divisé en trois grandes périodes, que l'exposition a suivies chronologiquement : la période préangkorienne (du début de notre ère au viiie s.), la période angkorienne (ixe-xve s.) et la période postangkorienne (du xve s. à nos jours).

Le premier temps fort de l'exposition était marqué par des sculptures réalisées entre le vie et le viiie siècle : elles comptent parmi les plus belles de l'art khmer, avec leur visage d'une grande humanité, telle la sereine Devi de Koh Krieng (début viie s.), une représentation de l'épouse de Siva, en grés, ou le célèbre Harihara de Prasat Andet (dernier quart du viie s.), représentation syncrétique des deux grands dieux hindous, Visnu et Siva, également en grès. Cette période préangkorienne est divisée en trois principaux styles, dont les noms (styles de Sambor Prei Kuk, de Prei Kmeng, de Kompong Preah) – tout comme ceux de la période angkorienne – reprennent celui du monument le plus caractéristique de l'époque.

À partir du ixe siècle, la sculpture angkorienne entra dans sa pleine maturité : les styles se succédèrent, innovant sans cesse comme ceux de Kulên, de Preah Kô, du Bakheng, caractéristique par la stylisation des visages et des corps, ou celui du Baphuon, aux corps allongés et aux visages souriants. Autre temps fort de l'exposition, l'art du règne de Jayavarman VII (fin xiie-début xiiie s.) est représenté par les œuvres du style du Bayon, fortement marquées par l'empreinte bouddhique. Les sculpteurs de cette époque ont réussi à associer réalisme et extraordinaire expressivité des visages. Rayonnante à la fois de force intérieure et de plénitude, la tête de Jayavarman VII en est sans doute la plus belle expression de cet art représentant l'apogée de l'Empire khmer.