Même dans les pays à la population adulte jusqu'ici relativement épargnée, comme la France, le phénomène prend une ampleur inquiétante. La répartition géographique de la maladie et son explosion durant les dernières années ne peuvent que rappeler l'évidence : l'obésité est bien due au déséquilibre entre une alimentation surabondante et une dépense énergétique restreinte. Reste à savoir pourquoi certains y sont plus sensibles que d'autres...

Leptine : au-delà des interprétations hâtives, les recherches se poursuivent

En 1994, une photo montrant côte à côte deux souris dont l'une, obèse, semblait appartenir à une autre espèce que sa compagne, fit le tour du monde. « On a trouvé le gène de l'obésité ! » clamaient les médias les moins scrupuleux, annonçant des médicaments enfin efficaces pour les années à venir. C'était aller un peu vite. En fait, Jeffrey Friedman, chercheur à l'Institut Howard Hugues (université de New York, États-Unis), venait de découvrir un gène porteur d'une mutation chez une lignée de souris obèses, dites ob/ob. Il montra que, chez les souris normales, ce gène intact induit la production d'une protéine qu'il appela « leptine » (leptos signifiant « mince » en grec). Sécrétée par le tissu adipeux, celle-ci va se fixer sur des récepteurs spécifiques situés dans le cerveau, plus précisément dans l'hypothalamus, véritable centre régulateur du fonctionnement de l'organisme. Administrée aux souris mutées qui en sont dépourvues, cette protéine diminue leur appétit et augmente leur dépense énergétique de base, déclenchant la fonte de la masse graisseuse. Injectée à doses massives, elle fait même maigrir des souris normales rendues obèses par suralimentation. On a trouvé et séquence quelques mois plus tard l'homologue humain de ce gène, qui code une protéine pratiquement identique à la leptine murine. On pensait donc tenir la clé de l'obésité : elle serait due à une carence en leptine.

L'espoir retomba vite quand on s'aperçut que seules les souris de cette lignée ob/ob étaient dépourvues de cette protéine. D'autres lignées tout aussi obèses avaient au contraire... plus de leptine que la normale. C'est en particulier le cas des souris db/db, une lignée obèse et diabétique qui porte une mutation affectant le gène du récepteur hypothalamique de la leptine. De manière générale, que ce soit chez la souris, le rat ou l'homme, la quantité de leptine circulante augmente avec la masse adipeuse. À tel point qu'on attribue maintenant à cette protéine un rôle central dans la régulation du poids corporel. Elle renseigne le cerveau sur l'état des réserves graisseuses et, en retour, celui-ci module l'appétit et la dépense énergétique via divers messagers chimiques : hormones, neurotransmetteurs, peptides (protéines de petite taille). Le nombre de ces messagers présumés augmente sans cesse. Le dernier peptide en date a été découvert en octobre 1997 à partir d'un gène dit Agouti, dont certaines variantes provoquent l'obésité et le diabète chez les souris qui les portent. Baptisé AGRP (Agouti Related Protein), ce peptide interviendrait en aval de la leptine. L'hypothèse la plus couramment admise actuellement attribue cependant le rôle central à cette dernière : l'obésité serait due à une insensibilité à la leptine. C'est évident pour les souris db, dépourvues de récepteur, mais le mécanisme reste encore à trouver dans les autres cas, en particulier chez l'homme.

Injustice génétique peut-être, mais sur fond de comportements alimentaires aberrants

En effet, c'est là que le bât blesse : bien que tous les gènes découverts chez les diverses lignées mutées de souris ou de rats aient des homologues humains, les hommes obèses ne portent aucune des mutations repérées. La seule exception connue a été révélée en juin de cette année : une paire de jumeaux atteints d'obésité sévère précoce, et issus d'une famille hautement consanguine, sont carences en leptine suite à une mutation génétique. Totalement dénué de signification pour le reste de la population des obèses, ce cas unique a néanmoins apporté la première confirmation du rôle de la leptine dans la régulation du bilan énergétique chez l'homme.