Sida : réalité et limites d'un tournant

Le recours à des associations de médicaments efficaces s'est généralisé dans les pays développés, mais, pour considérables et rapides qu'ils semblent, ces progrès ne doivent pas laisser méconnaître l'émergence de résistances virales aux traitements nouveaux ni faire oublier le drame qui frappe toujours plus cruellement les pays en voie de développement.

Un rappel de l'état des lieux s'impose : on estimait fin 1996 que près de 23 millions de personnes étaient infectées par le VIH ; 14 millions en Afrique, 5,2 millions en Asie, 750 000 en Amérique du Nord et 500 000 en Europe. Le sida, stade ultime de l'infection, ne cesse de progresser dans les pays en voie de développement : les progrès thérapeutiques comme l'impact de la prévention y demeurent ténus. De fait, dans certains pays, l'espérance de vie a commencé à décroître sensiblement (d'au moins 5 ans, par exemple, en Thaïlande). La maladie concerne de façon plus importante des sujets très jeunes. Sur la seule année 1996, 400 000 nouveaux cas d'infection par le VIH ont été enregistrés chez des enfants de moins de quinze ans. À la fin de l'année 1997, plus d'un million d'enfants de ce groupe d'âge étaient touchés par cette maladie, dont plus de 90 % dans les pays en voie de développement. Depuis le début de l'épidémie, presque trois millions d'enfants de moins de quinze ans, infectés par le VIH, sont décédés. Si l'on extrapole les valeurs de 1997 aux années à venir, la mortalité des moins de cinq ans sera doublée d'ici l'an 2010 dans les pays les plus touchés alors que la mortalité infantile, tous âges confondus, sera accrue de 75 %.

En France, le nombre de nouveaux cas de sida a augmenté jusqu'en 1994, atteignant alors 2 958 cas au premier semestre, puis a diminué de façon rapide. Il s'est limité à 1 390 cas au premier semestre 1997, contre 1 667 cas au deuxième semestre de 1996 et 2 358 au premier. Cette diminution semble concerner surtout les hétérosexuels et les usagers de drogues injectables, moins les homosexuels et bisexuels. Elle bénéficie de façon majoritaire aux patients séropositifs traités médicalement avant que ne se déclare la maladie. Ces chiffres ne permettent pas de connaître le nombre de sujets contaminés mais ne manifestant encore aucun signe clinique. Comme le nombre de patients séropositifs connus et traités par des médicaments avant que ne surviennent les premiers signes de la maladie a augmenté depuis 1993, on peut supposer que la diminution des nouveaux cas de sida est due à l'efficacité des stratégies antivirales adoptées chez des patients encore asymptomatiques. Le nombre de décès dus au sida a connu une évolution comparable à celle des cas de maladie déclarés, augmentant jusqu'en 1994 (avec 4 131 décès en France pour l'année) pour diminuer ensuite (2 802 cas en 1996 et 670 pour le premier semestre de 1997).

Pays en voie de développement : le drame obligé

L'épidémie de sida pose dans le tiers-monde des problèmes psychologiques et sociaux majeurs, d'une ampleur considérable : mi-1996, plus de 9 millions d'enfants de moins de quinze ans avaient vu leur mère en décéder, dont 90 % des cas en zone subsaharienne. L'accès à un simple traitement par AZT pourrait faire passer d'environ 25 % à seulement 8 % le taux de transmission mère-enfant. Encore faut-il une réelle volonté politique et économique pour mettre en place ce type de prévention : le protocole thérapeutique par AZT, incluant le traitement de la femme enceinte puis de son(ses) enfant(s), représente un investissement d'environ 6 000 F. Des actions de prévention plus directes et moins coûteuses demeurent encore mal comprises de populations qu'elles blessent parfois dans leurs croyances. La sensibilisation de la population féminine de ces pays constitue vraisemblablement l'une des actions les plus efficaces en ce domaine (associant la prévention à l'égard des MST par usage du préservatif, l'assurance pour la femme de disposer de façon inaliénable de son corps, l'obligation morale et économique de limiter les naissances).

Les bénéfices cliniques et sociaux des associations de médicaments

C'est en 1986 que l'on a administré le premier médicament antiviral actif contre le VIH, l'azidothymidine (AZT), dont on avait rapidement montré qu'il ralentissait la progression de la maladie. Mais les effets de ce traitement, comme de ceux institués dans les années suivantes avec des médicaments comparables (ils inhibent le fonctionnement d'une enzyme indispensable à la multiplication du virus, la transcriptase-inverse), demeuraient modérés et, surtout, transitoires. Le développement, depuis le début des années 90, d'une nouvelle classe thérapeutique, celle des antiprotéases (des médicaments actifs sur une autre enzyme indispensable à la multiplication virale), a modifié radicalement ce paysage.