Journal de l'année Édition 1997 1997Éd. 1997

Marché de l'art : état stationnaire

Entre les résultats mitigés des enchères publiques et les satisfactions affichées mais incontrôlables des organisateurs de foires et salons, l'état du marché de l'art, au terme de l'année 1996, reste stationnaire et sans grand relief. Si la tendance générale semble plutôt à la hausse du côté des « Anglais » (Londres et New York), il n'en va pas de même dans l'Hexagone, toujours empêtré dans ses individualismes et sa fiscalité d'un autre âge. La scène internationale des enchères nous a offert, comme d'habitude, quelques shows médiatiques, dont le plus remarqué fut, au printemps, la vente Jackie Kennedy à New York. Avec des résultats quintuples des estimations, n'ayant évidemment rien à voir avec la réalité du marché. À une échelle plus modeste, les souvenirs de Yul Brynner, dispersés à Paris en septembre, ont réalisé un chiffre triple de celui attendu. De même, le mobilier, pourtant guère reluisant, du comte et de la comtesse de Paris attira sur le Rocher, en décembre, de nombreux admirateurs des Orléans. Ces cas particuliers mis à part, le marché présente son mélange habituel et diversement dosé de coups d'éclat, de routine et de déceptions. Les coups d'éclat sont peu nombreux. Le plus éclatant, ce fut, en novembre, les 10,3 millions de dollars (52 millions de francs) payés à New York lors de la vente George Ortiz pour la soupière d'argent xviiie du service Orléans-Penthièvre, au poinçon aussi rare que prestigieux de Thomas Germain. Chiffre le plus élevé jamais payé pour une pièce d'argenterie.

Le secteur le plus observé reste celui des tableaux modernes. Si les grandes signatures (Cézanne, Monet, Degas...) demeurent essentiellement françaises, les bonnes toiles fuient malheureusement Paris, où celles qui s'y présentent sont rarement couronnées de succès. Certaines sont même retirées de la compétition avant d'avoir combattu. Comme le Paysage provençal peint par Derain en 1906, qui, nanti de son certificat d'exportation et d'une estimation de 6-8 millions de francs, aurait dû être un des événements de la saison. D'autres sont la proie de la rumeur et de la polémique (comme le Van Gogh de la collection Vernes), d'autres encore ne trouvent pas preneur faute d'avoir atteint leur prix d'estimation : c'est le cas des Grands Arbres de Cézanne, estimé 20 millions de francs, demeuré invendu à 14,5 millions de francs. Alors que le mois précédent, un tableau sur le même sujet, un peu plus haut en couleur, s'était adjugé 5 millions de livres à Londres, un peu plus de 40 millions de francs ! Dans le peloton international des enchères à plus de 10 millions de francs, on trouve donc, pour Paris, la Paysanne assise de Camille Pissarro, de la vente Henry Potez, adjugée 11,3 millions de francs en mars, et le Portrait de Lunia Czecowska de Modigliani, qui, à 9,977 millions de francs frais compris, frôle la barre des 10 millions de francs. Un chiffre à relativiser : la BCP avait payé cette toile 22,5 millions de francs lors de la vente Bourdon en mars 1990 ! Chiffres aussi fort éloignés des plus belles enchères new-yorkaises : 12 millions de dollars pour des Nymphéas de Monet chez Christie's, 10 millions de dollars chez Sotheby's un Paysage de Cézanne, soit respectivement 61,2 et 51 millions de francs.

Une contre-performance du même genre au rayon des meubles classiques pour le serre-bijoux de Marie-Antoinette, que le banquier Jean-Marc Vernes avait acquis 25 millions de francs en 1991. Six ans plus tard, ses héritiers n'en ont tiré que 14,4 millions de francs (15,8 payés avec les frais par l'acheteur « provisoire » dans l'attente d'un achat définitif du musée de Versailles). Tout décevant qu'il est, ce prix reste néanmoins la plus forte enchère française de l'année.

En baisse aussi les 5 meubles Boulle présentés à Paris en avril, un à deux ans à peine après leur acquisition. Outre deux armoires de Sageot, cotées 2,6 millions de francs en 95, adjugées 1,6 million en 96, les antiquaires parisiens se sont partagé, 30 % au-dessous des prix d'estimations, des commodes, bibliothèques, coffrets... Le marché n'est pas en cause, ni la mode, mais ces « retours » trop rapides, qui ne sont jamais bénéfiques.