Journal de l'année Édition 1996 1996Éd. 1996

Japon et Extrême-Orient

Alors qu'au Japon se poursuit une difficile recomposition politique face à laquelle le désenchantement de l'opinion va croissant, et que la dépression économique apparaît de plus en plus structurelle, la Corée du Sud et Taïwan parachèvent leur démocratisation, dans un contexte de croissance soutenue, accompagnée cependant de vives tensions extérieures.

Japon

1995 restera pour le Japon l'année de trois traumatismes majeurs, qui ont révélé, chacun à sa façon, de préoccupantes carences chez les autorités. Le séisme catastrophique de Kobe (plus de 5 000 morts le 17 janvier) rappelle que l'archipel reste vulnérable aux caprices de la nature, mais aussi que les normes antisismiques et la préparation des secours peuvent être insuffisantes. L'attentat au gaz sarin perpétré dans le métro de Tokyo (12 morts et 5 500 blessés, le 20 mars) par la secte Aum Shinri-kyo a révélé, en même temps que certaines insuffisances policières, le désarroi d'une partie de la jeunesse, séduite par les nouvelles religions qui prolifèrent. Enfin, le gouvernement n'a pas pu freiner la nouvelle flambée du yen face au dollar (+ 15 % en mars-avril), alors que celle-ci semble devoir précipiter une délocalisation massive de la production industrielle, qui nourrit la crainte d'un véritable « évidement » (kudoka) de l'archipel.

La recomposition politique, en cours depuis la scission du Parti libéral démocrate (PLD) de 1993, se poursuit dans la confusion. Le cabinet de Tomiichi Murayama, au pouvoir depuis juin 1994, est fondé sur l'improbable alliance du PLD avec ses anciens adversaires socialistes et le petit Parti précurseur (PP, centre gauche). Il donne le spectacle répété de ses dissensions, notamment à l'occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre en Asie (15 août), au cours duquel les socialistes ont voulu présenter des excuses aux peuples victimes de l'agression japonaise, alors que la majorité du PLD y était hostile. Les dossiers essentiels, économiques et diplomatiques (dossier des îles Kouriles, candidature à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU), semblent en panne.

L'impuissance du gouvernement est aggravée par l'implosion lente du Parti socialiste, qui choisit l'autodissolution (novembre), pour essayer de rebâtir une force nouvelle en s'alliant au PP, lequel se montre très réservé à ce sujet... De son côté, le PLD prend pour président le leader de son aile droite, Ryutaro Hashimoto, qui remplace (septembre) le modéré Yohei Kono. Le nouveau chef du parti ne cache pas son intention de mettre fin à l'actuelle coalition dès que la situation sera propice à des élections anticipées. Regroupée depuis décembre 1994 au sein du parti de la Nouvelle Frontière, ou Nouveau Parti progressiste (NPP), l'opposition néoconservatrice et centriste a du mal à assurer sa cohésion. La guerre des chefs y fait rage, et l'une de ses composantes essentielles, l'ex-parti bouddhiste Komeito, est au centre de la polémique sur l'influence excessive des organisations religieuses, provoquée par l'affaire Aum.

Aux sénatoriales du 23 juillet, le NPP arrive néanmoins en tête en obtenant 30,7 % des voix devant le PLD (27,3 %), les socialistes (17 %), les communistes (9,6 %) et le PP (6,3 %). Mais, avec une abstention de 55,5 % (c'est le record absolu de l'après-guerre), ce scrutin montre surtout le scepticisme croissant des Japonais à l'égard de la classe politique. Aujourd'hui, 60 % d'entre eux ne soutiennent plus aucun parti. L'hostilité qui monte contre le personnel politique et l'Administration se manifeste spectaculairement lors des élections des gouverneurs de Tokyo et d'Osaka (avril) : alors que tous les partis, à l'exception des communistes, se sont unis derrière deux candidats issus de la haute administration, les électeurs choisissent d'élire deux anciens acteurs, indépendants des partis, qui ont mené leur campagne sur les thèmes de la démocratie locale et de l'opposition au pouvoir central (voir encadré ci-dessous).

Le malaise de la nation est lié à la poursuite de la dépression économique. Alors qu'une reprise se dessinait depuis la fin de 1994 et que les bilans des entreprises pour l'année fiscale, close au 31 mars, avaient été meilleurs que les précédents, la production industrielle chute à nouveau à partir d'avril, après la brutale hausse du yen. Malgré deux nouveaux plans de relance (celui de septembre, le cinquième en quatre ans, dépasse 14 200 milliards de yens : plus que le budget de l'Australie), la croissance ne devrait pas dépasser 1 %. L'excédent commercial reste formidable, environ 110 milliards de dollars, mais reculera probablement d'environ 10 %. Quant au chômage, de nombreux experts estiment qu'il faut doubler, voire tripler le taux officiel (3,2 %) pour en avoir la mesure réelle. Les raisons de cette dépression persistante sont multiples. Pour faire face au niveau très élevé et instable du yen, les entreprises poursuivent la réduction de leurs coûts, mais ces efforts ont des effets secondaires négatifs : le pouvoir d'achat des salariés stagne ou diminue ; combinés avec l'ouverture progressive du marché aux pays asiatiques, ils entraînent une véritable « destruction des prix » (kakaku hakai), qui dégrade les bénéfices et menace de provoquer une authentique déflation. L'avenir est sombre pour les PMI, dont les investissements diminuent de 30 % cette année. La délocalisation, très en retard par rapport aux pays occidentaux, se précipite. Elle pourrait coûter jusqu'à un million d'emplois en quelques années.