Vie des médias : vases communicants

Concentrations

Le 25 octobre, un coup de tonnerre résonnait dans le ciel de l'industrie et des médias en France. Grâce à un accord croisé avec Alcatel Alsthom, Havas est devenu le cinquième groupe mondial de communication. Dans le même temps, Alcatel Alsthom a pris le contrôle de 21,2 % d'Havas, qui, en échange, récupère le secteur presse écrite d'Alsthom (le Point, l'Express, Courrier international, Lire, Gault/Millau). Déjà no 1 de l'édition française par l'intermédiaire de sa filiale CEP-Communication (dirigée par Christian Brégou), actionnaire à 100 % du Groupe de la Cité (Larousse, Bordas, Nathan, Laffont, Julliard, Plon, 50 % de France Loisirs, etc.), Havas renforce ainsi sa position dans la presse écrite (où CEP contrôlait déjà de vastes pans de la presse professionnelle et économique, avec, notamment, l'Usine nouvelle et l'Expansion), se rapprochant du rival Hachette. Alsthom se retire d'un secteur où son savoir-faire technologique ne lui fut pas d'un grand secours, et où Havas semble être un meilleur opérateur industriel.

Cette stratégie répond au défi mondial lancé par des groupes « mastodontes », comme en témoigne un autre projet de fusion, signé aux États-Unis en septembre, entre Time Warner – un des plus importants fournisseurs de programmes de prime time – et Turner Broadcasting System – le groupe de Ted Turner ayant pour fleurons la chaîne CNN, Cartoon Network et HBO, première chaîne américaine payante de cinéma. Cet accord doit maintenant affronter de nombreux obstacles juridiques et obtenir l'accord des autorités fédérales, qui craignent une trop grande concentration dans le domaine de la communication. Concrétisé, il fera de cet ensemble le numéro 1 mondial dans son domaine. Pour Pierre Dauzier, président d'Havas, « La révolution des autoroutes de l'information modifie l'approche des grands groupes. Les opérations Time Warner-Turner ou Disney-ABC sont exemplaires puisqu'elles visent à contrôler toute la chaîne, du studio de production à la diffusion. En communication, si vous n'êtes présents que sur un segment de la chaîne, vous êtes marginalisés. » L'accord Havas-Alsthom – entre celui qui maîtrise les médias et le détenteur du savoir technologique – pourrait donc annoncer d'autres modifications du paysage européen.

Groupes européens

Les principaux groupes européens de la presse et du livre sont, en milliards de francs (chiffres 1994) :
Bertelsmann (Allemagne) 34,
Reed-Elsevier (G-B/Pays-Bas) 24
Hachette (F) 15
Pearson (G-B) 12
Axel Springer (Allemagne) 11,8
CEP Communication (F) 11,4 (après l'opération de fusion de la Générale occidentale).
Actionnaire à 73 % de CEP, Havas, avec un CA de 45 milliards de francs, devient le 5e groupe de communication du monde, derrière Time Warner, Disney, Butelsmann et Murdoch.

Sur le plan économique, TF1 demeure une belle affaire

Malgré la tempête de critiques autour de ses programmes de rentrée, et un cours en Bourse flageolant en septembre, TF1 affiche une progression de ses résultats semestriels parfaitement régulière. Après une hausse de ses bénéfices de 18 % pour l'année 1994, la chaîne a enregistré un résultat net de 401 millions de francs pour le premier semestre 95, en hausse de 9,3 % par rapport à la même période de l'année précédente. Son chiffre d'affaires semestriel s'élève ainsi à 4,6 milliards de francs, en augmentation, lui aussi, de 7,6 %.

La performance n'est pas négligeable si l'on tient compte de l'érosion d'audience de TF1. Alors que la chaîne engrangeait 39,5 % de parts d'audience au premier semestre 94, son score a chuté à 37,8 % sur les six premiers mois de 95. Les plus optimistes tablent sur une croissance publicitaire de 6 à 7 % pour 1995. La chaîne fait le gros dos, surtout lorsqu'en novembre son président Patrick Le Lay est mis en garde à vue pendant 36 heures (sans que cela aboutisse à une mise en examen) à propos d'une commission occulte de 10 millions que la chaîne aurait versée à Gérard Colé, ancien président de la Française des jeux, pour assurer la transmission quotidienne des résultats du Loto.

La pub et TF1

Forte des 46 meilleurs scores d'audience au « top 50 » des programmes, la chaîne s'arroge toujours la plus grosse part du gâteau publicitaire. Les recettes sur ses écrans de pub sont passées, au premier semestre, à 3,8 milliards de francs, en hausse de 4,4 %. Et, malgré des recettes de parrainage en forte baisse (− 27 %), ses activités de diversification, elles, ont augmenté de 26,3 % avec un chiffre d'affaires de 797 millions de francs au premier semestre.

Patrick Sabatier et sa femme ont été relaxés par le tribunal du délit de complicité d'escroquerie et d'exercice illégal de la médecine à la suite de la diffusion, en 1990, d'une émission au cours de laquelle un mage guérisseur (aujourd'hui en fuite) aurait escroqué plus de 4 millions de francs à des téléspectateurs.

Pierre Grimblat, fondateur d'Hamster Productions, qui connaît le succès avec les séries « Navarro » et « L'instit' », a été élu « Homme de l'année » au Mipcom.

L'envol de France 3

L'envol de France 3, au détriment de TF1 et France 2, fut également une donnée importante du changement du paysage audiovisuel. Selon une étude publiée en septembre, il s'agit de la seule chaîne généraliste en progression. Un boom sur tous les tableaux. Plus 18 % sur l'ensemble de la journée chez les 15 ans et plus. Plus 24 % en access prime time (19 h-20 h). Plus 35 % sur le prime time (19 h-22 h 30) et 44 % sur le peak time (20 h-22 h), le créneau le plus important car il réunit le maximum de téléspectateurs devant le téléviseur. Par le simple jeu des vases communicants, cette victoire implique une régression de la concurrence, surtout celle de TF1 (− 10 % en peak time) et France 2 (− 6 % en peak time). En inventant de vrais carrefours fédérateurs d'audience – toutes générations confondues –, en réussissant à construire une grille qui, naturellement, juxtapose haut et bas de gamme, le tout avec une modestie dictée par ses contraintes budgétaires, France 3 s'est retrouvée en phase avec un auditoire lassé des perpétuels ajustements des deux autres grandes chaînes. Il est révélateur de constater que les journaux de 20 h de TF1 et France 2 perdent respectivement 14 et 15 % de parts de marché, alors que « Soir 3 » fait un bond de 28 %, tout comme le 12 h-13 h progresse de 19 %, aussi bien en national qu'en régional.