Politique économique : l'échec de la « double ligne »

Lorsque l'équipe d'Alain Juppé arrive aux commandes de la France, en mai, les vents de la conjoncture sont très favorables. La baisse du chômage est bien engagée. Les prévisionnistes annoncent une croissance de 3 % pour l'année, des investissements en hausse de plus de 12 %, une reprise de la consommation, 250 000 créations d'emplois ... Bref, une « météo » idéale pour engager à la fois une réduction des déficits publics – point noir légué par les gouvernements précédents – et des réformes structurelles. Mais, pour respecter les nombreuses promesses faites pendant la campagne électorale, le nouveau gouvernement décide d'abord des dépenses supplémentaires. Et, pour que ces dépenses n'accroissent pas le déficit budgétaire, les impôts sont sensiblement augmentés. Cette stratégie de la « double ligne » (dépenser pour l'emploi et réduire les déficits) n'est comprise ni par les marchés, ni par l'opinion : le franc reste fragile, et Alain Juppé chute rapidement dans les sondages. Jusqu'à ce que, le 26 octobre, le président Jacques Chirac annonce clairement un changement de cap, en plaçant la lutte contre les déficits au cœur de ses priorités économiques. Une tentative, tardive, pour amadouer les marchés, leur méfiance ayant coûté cher en termes de taux d'intérêts, donc en termes de croissance, donc en termes d'emploi. Mais, si les marchés accueillent bien ce changement de cap, il n'en est pas de même de l'opinion publique. L'année se termine mal pour Alain Juppé : l'annonce de la réforme de la Sécurité sociale et le projet de contrat de plan SNCF déclenchent le plus important mouvement de grève dans les services publics depuis 1968.

Retour à la pensée unique

Alain Juppé, lui, n'a pas de mal à revenir dans le sillon de la « pensée unique » que dénonçait pourtant avec virulence le candidat Chirac pendant sa campagne. La pensée unique est le nom donné – par ses adversaires – au consensus qui s'est formé au fil des années sur la politique économique et dans lequel se retrouvent les « élites » de gauche et de droite. Elle repose sur quelques idées simples et prudentes : la construction de l'Europe représente une dynamique essentielle ; la stabilité du franc constitue le gage d'une croissance équilibrée ; la puissance des marchés est un phénomène avec lequel il faut vivre ; l'ouverture des frontières s'avère inévitable ; la modération salariale profite à l'emploi ; la réduction des déficits entraîne la baisse des taux d'intérêts, etc.

Le candidat Chirac avait remis en question chacun de ces « dogmes », sans pour autant formuler d'alternative claire à la stratégie du franc fort suivie par Pierre Bérégovoy puis Édouard Balladur. Alain Juppé, lui, ne dévie guère de la trajectoire antérieure. Il doit même faire ce que ses deux prédécesseurs s'étaient épargné : réduire les déficits. Sa seule « hétérodoxie » a été le coup de pouce de 4 % accordé au SMIC le 1er juillet (au lieu des 2 % contractuels). Pour le reste, le Premier ministre préfère poursuivre la stratégie du franc fort. Mais son message, brouillé par les nouvelles dépenses budgétaires, la hausse des impôts – contraire aux promesses –, les ambiguïtés de l'Élysée et les retards pris pour engager les réformes structurelles, ne convainc pas.

Attention, hausses d'impôts

Pour respecter la contrainte budgétaire posée par Maastricht (tout pays candidat à la monnaie unique doit afficher un déficit de moins de 3 % de son produit intérieur brut), Alain Juppé choisit d'adopter un plan de route progressif, baptisé par son ministre des Finances, Alain Madelin, le « 5-4-3 » (déficit de 5 % du PIB en 1995, 4 % en 1996 et 3 % en 1997). La méthode, à la fois efficace et impopulaire, repose donc pour une grande partie sur la hausse des impôts. La loi de finances rectificative, votée en juin, entérine une hausse du taux normal de la TVA (de 18,6 % à 20,6 %), ce qui rapporte à l'État environ 40 milliards de francs en année pleine. Pour montrer que « tout le monde » est mis à contribution, l'impôt sur les grandes fortunes est alourdi de 10 % (recette : 880 millions de francs en année pleine), de même que l'impôt sur les sociétés (recette : 12 milliards en année pleine). Dans le budget 1996, d'autres impôts et taxes sont relevés, comme la fiscalité de l'épargne. Enfin, le projet de réforme de la Sécurité sociale présenté en fin d'année prévoit également une pression fiscale accrue, via une cotisation spéciale destinée à rembourser la dette...