Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Expositions : poussinistes et rubinesques

Il est classique, presque convenu, dans l'histoire de l'art, de distinguer les défenseurs de Poussin et ceux de Rubens, les partisans du dessin contre les promoteurs de la couleur. Cette partition pourrait bien servir de fil d'Ariane à notre parcours dans cette année d'expositions marquée à la fois par la rétrospective Poussin et les cathédrales de Monet, par les dessins stylisés d'Ingres et les études marocaines de Delacroix.

L'esprit classique

C'est à l'occasion du 4e centenaire de la naissance du peintre et à l'initiative du Louvre, relayé à cette occasion par deux autres institutions, que le maître du classicisme français, Nicolas Poussin (1594-1665), fait l'objet d'une des expositions-phares de l'année. Réunissant 110 tableaux et quelque 135 dessins de très diverses provenances, cette exposition prend le parti de ne présenter que des œuvres majeures, préférant la sûreté des attributions et la qualité des factures à la découverte de nouveaux pans de l'œuvre. Le résultat est probant. L'imposant Martyre de saint Érasme, venu de Rome, voisine avec l'Orion aveugle, qui a traversé l'Atlantique. Les Sept Sacrements, dispersés dans le monde, sont rassemblés ici dans une même salle pour former un ensemble démonstratif. Parce que le peintre est considéré à juste titre comme un artiste de la cosa mentale, des cartels explicatifs (conteste, sujet, sources...) accompagnent chacune des œuvres, livrant les clés nécessaires à l'interprétation et à l'appréciation d'une œuvre où la composition et la symbolique des couleurs sont au service d'un tableau-récit. Parallèlement à cette manifestation du Louvre, le musée Condé de Chantilly présente sa collection de Poussin fraîchement restaurée, et le musée Bonnat de Bayonne, qui, à cause de son statut, ne peut prêter d'œuvres, expose son importante collection de dessins du maître français.

C'est à cette filiation classique de Poussin que se rattache directement Jean-Auguste Ingres, dont l'Espace Electra (Paris) propose une série de dessins conservés dans le fonds que l'artiste avait légué à sa ville natale, Montauban. Si le titre de l'exposition, Ingres : l'esprit du dessin, rapproche directement « l'esprit » d'Ingres de celui de Poussin, le parti pris présidant à la sélection des œuvres est inverse de celui adopté dans les salles du Louvre. On ne retrouve pas d'œuvres majeures, mais plutôt des dessins inconnus ou inédits, mettant au jour les diverses techniques (plume, crayon, aquarelle) et procédés (exploitation d'un même sujet, d'une même figure dans des tableaux différents) employés par l'artiste. L'exposition-dossier cherche plus à révéler de nouvelles pistes de recherches qu'elle n'offre au simple amateur des œuvres sélectionnées pour leur propre qualité graphique.

C'est de « belles icônes » qu'il est question au musée des Beaux-Arts de Lyon au même moment, avec la rétrospective d'un « classiciste » de ce siècle, Maurice Denis. On ne quitte pas le domaine de l'esprit, puisque Denis est peut-être plus connu pour ses écrits théoriques sur la peinture que pour sa production picturale. L'exposition, qui coïncide avec la rédaction du catalogue raisonné de l'œuvre, cherche à révéler la diversité et l'ampleur d'un travail dont tout un plan est largement négligé car il a été très vite considéré comme un « retour à l'ordre ».

Les cas impressionnistes

La même complexité historique se retrouve du côté des « rubinesques ». C'est notamment l'objet de l'importante exposition présentée au Grand Palais sur les origines de l'impressionnisme (1859-1869). La Réunion des Musées nationaux s'est associée, à cette occasion, au Metropolitan Museum de New York pour présenter, à partir du noyau de leurs collections respectives, un possible panorama du « proto-impressionnisme ». Alors que l'histoire classique reconnaît plutôt l'année 1863 (le Salon des Refusés) comme celle des débuts de la modernité impressionniste, le commissaire français de l'exposition, Henry Loyrette, nommé depuis directeur du musée d'Orsay, choisit de reculer la date pour éclairer les diverses hésitations qui mènent à la naissance de la touche atmosphérique de Monet et Renoir. On découvre ainsi l'influence de James Tissot, mais aussi, de façon plus inattendue, celle de Carolus-Duran, traditionnellement rattaché au panthéon de l'académisme. L'école de Barbizon est directement placée aux sources de la nouvelle peinture d'extérieur quand Gustave Courbet fait figure de précurseur aussi bien par la touche que par le choix singulier de ses sujets. C'est d'ailleurs un parcours thématique qui est adopté ici, dans une mise en scène qui se distingue par sa relative sobriété. L'un des enseignements de cette exposition historique est en effet de montrer combien les acteurs de l'impressionnisme se sont d'abord confrontés aux sujets classiques (du nu à la peinture d'histoire, de la nature morte au portrait), auxquels ils apportent un nouveau langage non sans tâtonnements et repentirs.