Défense : la nouvelle donne

L'effondrement du bloc de l'Est et les enseignements de la guerre du Golfe n'ont pas fini de peser sur la réflexion stratégique. Et, partant, sur les grandes orientations de la politique de défense. Budgets revus à la baisse, réduction des effectifs, gel des programmes d'armements traduisent un malaise général.

Les choix budgétaires

Toute décision en la matière doit prendre en compte un sentiment qui prévaut dans l'opinion mondiale. En effet, la fin de l'URSS est assimilée à la disparition de la menace. On en est presque à regretter, au sein de nos états-majors, les schémas hérités de la guerre froide qui, en terme de posture stratégique, proposait un cadre d'analyse bien rodé : il suffisait d'imaginer les parades possibles à l'irruption massive des forces du pacte de Varsovie déferlant en Europe occidentale. Au moment où les perspectives de croissance économique ne portent pas à l'optimisme, dans un pays qui frôle les trois millions de chômeurs, les orientations en matière de défense ne peuvent qu'être soumises à la question budgétaire. Pour autant, l'autodissolution de l'organisation militaire du bloc de l'Est doit-elle se traduire par un resserrement des crédits alloués aux armées ? Vouloir considérer la politique de défense sous le seul angle des choix budgétaires peut masquer une triple interrogation : s'agit-il d'une disparition pure et simple de la menace ou d'un changement de sa nature ? Les réformes des armées, dont personne ne discute la nécessaire mise en œuvre, impliquent-elles absolument une économie de moyens ? Enfin, qu'adviendrait-il de notre industrie de défense dont l'effondrement se traduirait, pour certains, par une crise sociale comparable à celle qu'a connue la sidérurgie en 1984 ?

Budget 1993

D'un montant de 197 milliards de francs, il est en baisse pour la deuxième année consécutive. Pour leur part, les crédits d'investissement sont simplement reconduits. Néanmoins, les autorisations de programme dans le domaine spatial et le renseignement enregistrent une progression de 13 % par rapport à 1992.

Les grandes orientations

Au sortir de la guerre du Golfe, le ministère de la Défense a engagé la réforme des armées, avec plus ou moins de réussite, sous la pression de cette triple interrogation. Ainsi, priorité est donnée à la prévention des conflits. C'est dans cette perspective qu'il convient d'apprécier le développement de l'observation spatiale et le renforcement du renseignement. À cet égard, une direction du renseignement a vu le jour, assortie d'une nouvelle délégation aux affaires stratégiques. Un nouveau concept – issu de la guerre du Golfe et étendu à partir de la FAR – de « projection rapide de forces » sur des théâtres d'opérations européens et extraeuropéens devrait entraîner la création de deux états-majors interarmées. Dans le même ordre d'idées, un commandement centralisé regroupera les « forces spéciales » constituées de différentes armes. Ce sont les forces de dissuasion nucléaire qui supporteront le poids des restrictions budgétaires. Selon le concept de « stricte suffisance », elles devront se moderniser dans le cadre de budgets restreints de 30 % à 20 % par rapport aux exercices des années précédentes.

Le satellite Spot

L'armée de l'air américaine a décidé d'utiliser de manière plus systématique les images du satellite français d'observation civil Spot. Ce dernier a largement été mis à contribution par les Américains lors de la guerre du Golfe, notamment pour l'emploi des armes de précision guidée.

Surcoût : les opérations militaires extérieures représentent un surcoût de 2,5 milliards de francs en 1992, dont un milliard pour la seule Yougoslavie (soit 700 millions de coût direct et 300 millions de coût indirect).

Le renseignement spatial

La guerre des étoiles a survécu à la disparition de l'empire soviétique et à la fin de la menace que pouvaient constituer les missiles balistiques stratégiques soviétiques. De toute évidence, les États-Unis entendent poursuivre le programme de défense à partir de l'espace. Depuis 1983, le Pentagone a consacré pas moins de 18 milliards à l'initiative de défense stratégique (IDS). La guerre du Golfe semble avoir stimulé les recherches en ce domaine. La menace des Scud irakiens aura convaincu les responsables américains de la nécessité de la lutte antimissiles depuis la Terre, mais aussi depuis l'espace. De plus, le risque sérieux de prolifération nucléaire et chimique impose de disposer de renseignements en temps réel, ce que seul un dispositif spatial est à même de prévenir. Les responsables français ne s'y sont pas trompés, comme en témoigne la visite, en février 1992, de P. Joxe aux États-Unis. Depuis les montagnes du Colorado, le ministre de la Défense a pu observer la destruction d'un missile tiré d'Afrique du Nord contre la France. Il ne s'agissait, bien sûr, que d'une simulation. Mais, les États-Unis s'apprêtent à couvrir la planète grâce au système spatial Brilliant Eyes (« Regard perçant »). Visiblement impressionné par ces performances, P. Joxe en a conclu qu'un bouclier spatial risquerait fort de « déclasser » la dissuasion nucléaire. À défaut de lancer la France dans l'édification d'un tel bouclier, Paris a retenu l'idée d'un usage de l'espace à des fins de renseignement et de gestion des crises. Ce n'est pas un hasard si le renseignement spatial figure, dans le cadre de la loi de programmation militaire 1993-1997, en bonne place.

Le blues de l'armée de terre

Ni la marine ni l'armée de l'air ne sont épargnées : les grands programmes d'équipement sont gelés, voire purement abandonnés.