Afghanistan

Une transition précipitée

Il y avait treize ans que les moudjahidin attendaient cette déclaration. Lorsque le chef du régime procommuniste de Kaboul, le « docteur » Najibullah a annoncé, le 18 mars, qu'il allait remettre ses pouvoirs à un gouvernement intérimaire, sous l'égide de l'ONU, les moudjahidin sont pourtant restés pantois. Rien jusqu'alors ne pouvait laisser supposer que le processus de transfert des pouvoirs serait si rapide et, surtout, que le maître de Kaboul s'y plierait aussi facilement. La transition était prévue dans le cadre d'un plan de paix fignolé depuis trois ans par Benon Sevan, le délégué spécial des Nations unies pour l'Afghanistan. Celui-ci avait pourtant sous-estimé un élément de taille. Après avoir combattu tant d'années pour leur indépendance, les héritiers du « royaume de l'insolence » n'avaient nullement l'intention de se laisser dicter un processus de transition, fût-il équitable. Le plan de l'ONU leur apparaissant comme une construction intellectuelle occidentale peu adaptée aux réalités afghanes, il fut rejeté avant même d'avoir été réellement examiné.

Pendant les sept jours et les huit nuits qui ont suivi la destitution de Najibullah, les leaders politiques des moudjahidin ont donc cherché précipitamment à mettre sur pied un compromis organisant un gouvernement transitoire dans l'attente d'élections démocratiques ou d'une concertation plus traditionnelle (choura). Ces négociations difficiles ont finalement débouché, dans la nuit du 24 avril, sur les accords très précaires de Peshawar (du nom de cette ville frontière pakistanaise où s'étaient réfugiés plus de 2 millions d'Afghans pendant la guerre et où la plupart des formations politiques de la résistance avaient leur siège). Habitués à combattre un ennemi commun, les différents courants de la résistance afghane n'avaient apparemment pas envisagé jusque-là de réelle concertation politique. La complexité de la négociation étant renforcée par la conviction de chaque parti de détenir la plus grande légitimité au pouvoir. Pendant que les chefs politiques discutaient à Peshawar, le rapport des forces commençait cependant à s'inverser sur le terrain. Dès le 19 mars, un « conseil militaire » composé de milices ouzbeks et tadjiks (transfuges du gouvernement communiste) et des troupes du commandant Massoud, l'un des héros de la résistance, prenait la « capitale du Nord », Mazar-I-Shariff, la deuxième ville du pays, ainsi que 11 provinces du Nord. Le 11 avril (cinq jours avant la chute de Najibullah), ce conseil militaire, conduit par Massoud, commençait à marcher sur Kaboul, au grand dam des autres groupements politiques, qui envoyèrent à leur tour des troupes sur la ville, chacun voulant être le premier à entrer dans la capitale.

Hezb-I-Islami : parti fondamentaliste « dur » dirigé par Gulbuddin Hekmatyar. A reçu la plus grosse partie de l'aide américaine et pakistanaise durant la résistance. Demeure soutenu par une partie des renseignements pakistanais.

Hezb-I-Islami-Khales : né d'une scission d'avec le précédent. Compte quelques grands chefs militaires, comme Abdul Haq.

Parti Ittehad : dirigé par Rassul Sayyaf, soutenu par l'Arabie Saoudite.

Parti Jamiat : dirigé par le président Rabbani et le commandant Massoud. Soutenu par les Occidentaux et le gouvernement pakistanais.

Parti Jebbe-I-Nejad-I-Melli : dirigé par le président Modjaddedi, proche des intellectuels afghans.

Parti Mahaz-I-Islami : dirigé par Ahmed Gailani, proche de l'ancien roi Zaher Shah.

Parti Wahdat : coalition de neuf groupes chiites, soutenue par l'Iran.

Milice ouzbek : commandée par Rachid Dostom, proche de la république d'Ouzbékistan.

Parti Harakat-I-Enquelab : dirigé par Nabi Mohammeddi.

Mohammed Najibullah : issu d'une des grandes familles pachto, il adhère au Parti communiste (PDPA) à 19 ans, en 1965. Chef du Khad, la redoutable police secrète, imitée du KGB, à partir de l'invasion soviétique en 1979, il est propulsé au pouvoir par l'occupant en 1986. Contre toute attente, il résiste au retrait de l'armée Rouge achevé en février 1989, abandonne rapidement toute référence au communisme et se rapproche de l'islam.

La lutte pour le pouvoir

L'entrée de Massoud dans Kaboul (vainqueur de cette course au clocher), le 29 avril, marque le point de départ de cette guerre fratricide qui n'a pas encore cessé. Alors que les gouverneurs et les généraux de province, jusque-là fidèles au régime communiste, se rendaient aux conseils de moudjahidin sans pratiquement livrer combat, les anciens résistants se sont lancés dans une guerre d'influence pour le pouvoir. Les affiliations politiques des commandants locaux ont permis de redessiner une carte de l'Afghanistan divisé non plus entre communistes et moudjahidin mais entre différentes factions politiques issues de la Résistance. Une lutte particulièrement âpre perdure depuis avril entre les différents groupes pour le contrôle de Kaboul, au point qu'un rapport de l'ONU, rendu public fin novembre, constatait qu'il existe au moins seize gouvernements à Kaboul...