Afrique : transitions ou désillusions ?

Soumise aux politiques monétaristes d'ajustement structurel, l'Afrique est, selon la Banque mondiale, un continent « en transition ». Tous les indicateurs montrent cependant que les pays africains sont plongés dans une crise économique durable qu'ils ne parviennent pas à juguler et qui menace gravement les efforts de démocratisation entrepris depuis deux ans.

En 1991-1992, dans dix-sept pays du continent noir, le PNB par tête a reculé, celui de l'Ouganda chutant de 2,4 %. Au Nigeria, le PNB par tête est tombé de 400 dollars dans les années 70 à 290 dollars en 1990.

Un continent marginalisé

L'Afrique noire ne parvient pas à trouver un rythme de croissance économique supérieur à celui de sa population : le revenu officiel par tête a encore diminué en 1992 (– 1,1 % d'après le FMI) et les prévisions pour 1993 sont très sombres. Quelques pays enregistrent de bons résultats (Botswana, Maurice, Ghana), et les exportateurs de pétrole (Angola en particulier) ont bénéficié d'un marché actif, mais l'Afrique ne sort pas de la crise malgré les dynamismes « informels » ruraux et urbains. Les finances publiques sont exsangues et les investisseurs privés délaissent le continent, de plus en plus marginalisé : avec environ 1 % du commerce mondial, l'Afrique noire est « hors jeu » des grands échanges internationaux, et le redéploiement industriel mondial l'a ignorée, Maurice exceptée.

La dette extérieure atteint 75 % du PNB et le service de la dette (23 % des exportations) n'est supportable qu'en raison du rôle des crédits à long terme octroyés par les bailleurs de fonds internationaux.

Handicap structurel

Les catastrophes naturelles, telle la dramatique sécheresse qui a frappé cette fois la Corne orientale et l'Afrique australe, compromettant les récoltes à 50 %, voire entre 70 et 80 %, au Lesotho, en Namibie, au Zimbabwe, n'expliquent pas tout, non plus que la prolifération des criquets migrateurs à Madagascar. Elles aggravent un handicap structurel : les économies d'exportation demeurent, plus qu'ailleurs, basées sur des matières premières agricoles dont les prix réels sont souvent inférieurs à ceux des années 1960. Seuls les vendeurs de pétrole et quelques pays miniers parviennent à maintenir de substantielles recettes d'exportation, mais la concurrence est vive, certaines infrastructures minières (Zaïre, Zambie) sont obsolètes, et l'Afrique du Sud est menacée par le « dumping » russe sur des métaux stratégiques.

Les contraintes financières pèsent lourdement sur le devenir du continent. Étranglés par l'endettement malgré les multiples rééchelonnements, négociant sans cesse de nouveaux ajustements, de nombreux États africains manifestent une grande inquiétude quant aux perspectives européennes du marché et de la monnaie uniques. La parité fixe entre le franc CFA, monnaie commune de 13 des 14 pays de la zone franc, et le franc français est ainsi menacée ; et, si toute idée de dévaluation a été, pour l'instant, écartée, le débat est loin d'être clos.

Au sud et à l'est du continent sévit l'une des pires sécheresses du siècle : de 60 à 115 millions d'individus sont menacés par la famine, et la FAO estime que les besoins en aide alimentaire auront été doublés en 1992.

Désillusions

Le contexte de banqueroute et les déclassements sociaux consécutifs aux politiques de rigueur rendent la transition démocratique de plus en plus difficile. Le parti unique a été « enterré » lors de la Conférence panafricaine sur la démocratie, le multipartisme est désormais légal dans 41 des 47 pays d'Afrique noire, des dictateurs ont été renversés (Mali. Bénin, Congo, Zambie), la presse est libre, mais la méthode des conférences nationales n'a pas engendré des lendemains heureux. Dans la plupart des pays où des élections ont déjà eu lieu, ou sont prévues dans un proche avenir, prévalent l'inquiétude, la déception, l'indignation.

Certains dirigeants en place, appuyés sur les anciens partis uniques qui quadrillent encore les populations, contrôlent toujours le pouvoir (Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Tchad), durcissent brutalement les rapports avec des oppositions légales souvent maladroites, et cautionnent des exactions sanglantes comme au Zaïre, où violences et pillages demeurent impunis. D'autres retardent les échéances (Centrafrique), multiplient les arrestations arbitraires (Malawi), manœuvrent pour manipuler les conditions du scrutin (Kenya) ou sont accusés de fraude et de truquage des résultats (Cameroun, Mauritanie). Les militaires ont parfois été des libérateurs : au Mali, ils ont mis fin à la dictature et favorisé l'émergence d'un pouvoir issu du suffrage universel ; en Sierra Leone, une junte de jeunes officiers a évincé des dirigeants corrompus et discrédités. Mais les prétoriens menacent aussi les expériences en cours : au Congo, l'élection présidentielle a été précédée d'un affrontement entre le gouvernement provisoire et l'armée ; au Niger, la lutte contre l'irrédentisme et la rébellion touarègue, qui s'amplifie, redonne du poids à la hiérarchie militaire ; au Togo, les troupes fidèles au général Eyadéma multiplient les violations des droits de l'homme et tiennent la démocratie en otage, comme à Madagascar. Le retour à un régime civil au Nigeria est parsemé d'entraves et la transition est chaotique. Seuls le Bénin, le Ghana et la Tanzanie semblent échapper à ces coups de boutoir qui fragilisent un espoir démocratique d'ailleurs non généralisé. Au Soudan, les déportations et le génocide perpétré contre les populations noires du Sud continuent.

Lors du XVIIe sommet franco-africain de Libreville (Gabon), en octobre, Pierre Bérégovoy a déclaré qu'il partageait certaines critiques des dirigeants africains au sujet des exigences du FMI qui ne tiennent pas compte des conséquences sociales.

Sanglante répression, en février, au Zaïre : l'armée a ouvert le feu, à Kinshasa, sur des milliers de chrétiens qui manifestaient pacifiquement. À Mbandaka et dans la province du Kivu, des soldats « échappant à tout contrôle » se sont livrés à des pillages meurtriers.

Avec 39,9 % des suffrages exprimés, Paul Biya a été proclamé « réélu » par la Cour suprême du Cameroun, douze jours après le scrutin. L'opposition a dénoncé la fraude électorale, et son principal représentant, John Fru Ndi, affirme avoir remporté l'élection présidentielle.

Au Mali, un « pacte national », conclu le 11 avril entre le pouvoir central et les mouvements rebelles touaregs, accorde un statut d'autonomie relative aux trois régions septentrionales. Mais, au Niger, des militaires ont imposé, le 31 août, la loi martiale dans le nord du pays, où le Front de libération de l'Aïr et de l'Azawad a pris les armes.

Au Nigeria, les « primaires » présidentielles ont été annulées le 16 octobre par le Conseil dirigeant des forces armées, qui a dissous les instances des formations politiques autorisées, alors que le chef de l'État n'a cessé de rappeler qu'il partirait le 2 janvier 1993.

Incertitudes lusophones

On comprend d'autant mieux le pessimisme ambiant que les accords de paix destinés à régler d'anciens conflits sont remis en question tandis que des États, minés par la guerre civile, implosent ou sont menacés de dislocation. En Afrique australe lusophone, 1992 devait être l'année de la réconciliation. Le résultat des élections présidentielles angolaises a été violemment contesté et les affrontements entre les troupes de l'UNITA et les forces gouvernementales font craindre le pire. La défaite de J. Savimbi (UNITA) n'annonce pas, de facto, un retour à la paix. Avec l'accord de Rome, signé le 4 octobre entre le gouvernement de Maputo, se réclamant du « marxisme », et la RENAMO, mouvement longtemps armé par l'Afrique du Sud, l'une des plus longues guerres civiles du continent devrait prendre fin : le Mozambique, dévasté par seize ans de combats, est à reconstruire. Pour autant, la lutte armée n'a pas cessé, et les rebelles de la RENAMO poursuivent la conquête délibérée de villes côtières stratégiques.

États-nations ébranlés

Inscrits dans la durée, ces conflits ne sont pas seulement la conséquence d'options idéologiques différentes : ils révèlent souvent de vieilles fractures historiques susceptibles de menacer l'existence d'États-nations. Au 28e sommet de l'OUA, que préside le Sénégalais A. Diouf, l'accent a été mis sur la nécessité d'adopter un mécanisme de prévention et de règlement des conflits, tant est grand le désarroi devant les violences qui ensanglantent de nombreux pays, mais aucune décision n'a pu être arrêtée. Les tentatives d'intervention panafricaines n'ont pas été plus efficaces que celles de l'ONU.