Journal de l'année Édition 1993 1993Éd. 1993

Biologie : un formidable coup d'accélérateur

La biologie en 1992

Trois ans seulement après le lancement officiel du programme de recherche Génome humain, c'est une équipe française qui gagne, et haut la main, la première étape de cette farouche compétition internationale : alors que l'on prévoyait, au mieux, de terminer la carte physique de nos gènes en 1997, la technique de séquençage mise au point par le Centre d'étude du polymorphisme humain (CEPH) et le Généthon (laboratoire financé par les dons du Téléthon) va permettre de gagner quatre à cinq ans dans la connaissance de notre patrimoine héréditaire. Grâce à l'invention d'une technique très rapide de détection des gènes, et à l'emploi d'analyseurs automatiques d'ADN ultra-performants (réalisés avec le concours de la Société Bertin), les travaux des chercheurs français ont d'ores et déjà permis de cartographier 65 % de nos chromosomes. Un formidable coup d'accélérateur pour la recherche sur les maladies génétiques, dont la compréhension, le traitement, voire la prévention constituent le principal enjeu du programme Génome.

Problèmes éthiques

À la vitesse à laquelle progresse cette extraordinaire aventure scientifique, on devrait en effet, d'ici peu, disposer d'un nombre considérable de marqueurs génétiques. Lesquels marqueurs, à leur tour, permettront de repérer sur les chromosomes les gènes responsables des milliers d'affections héréditaires dont souffre l'espèce humaine. Un espoir considérable qui n'ira pas, cependant, sans poser de redoutables problèmes éthiques, comme le montrent d'ores et déjà les avancées enregistrées ces dernières années contre la mucoviscidose, la plus fréquente et l'une des plus graves des maladies génétiques.

Localisé en 1985 et identifié trois ans plus tard par une équipe américano-canadienne, le gène de la mucoviscidose a fait l'objet, ces dernières années, de multiples travaux de recherche. Grâce à eux, on connaît aujourd'hui la plupart des mutations responsables de cette affection. Conséquences à venir : l'élucidation des mécanismes intimes du mal, et, peut-être, l'élaboration rapide d'une thérapeutique efficace.

Conséquences immédiates : une équipe de chercheurs britanniques est d'ores et déjà parvenue à mettre au point un diagnostic génétique « préimplantatoire » de la mucoviscidose. L'objectif ? Proposer aux parents, s'ils sont tous deux porteurs sains du gène défectueux, de recourir à ce test de dépistage via la fécondation in vitro, et de n'implanter dans l'utérus maternel que les embryons sains. Une perspective qui pourrait, à terme, permettre d'éradiquer cette très grave maladie, mais qui, si elle devenait applicable à de multiples caractéristiques génétiques, présenterait un risque d'eugénisme qui inquiète d'ores et déjà de nombreux chercheurs.

L'embryon au gène près

En remplaçant un gène par un autre dans des cellules embryonnaires, une équipe de l'Institut Pasteur (Paris) a obtenu des souris mutantes dont la morphologie avait été modifiée au cours de l'embryogenèse. Cette « première » s'appuie sur deux techniques récentes de la biologie moléculaire, celle des cellules souches embryonnaires et celle de la recombinaison génétique « homologue ». Ce type de manipulation devrait permettre de mieux cerner le rôle des gènes impliqués dans l'élaboration du vivant, et constitue d'ores et déjà un outil de choix pour le transfert de gènes animaux et humains.

L'impact des biotechnologies

En entrant de plain-pied dans son stade industriel, le programme Génome humain met également en lumière, à côté de ces graves interrogations éthiques, les criantes lacunes juridiques dont souffre aujourd'hui le droit du vivant (voir encadré). Les biotechnologies, quant à elles, donnent lieu à un autre débat : les bactéries et les plantes génétiquement manipulées, que l'on multiplie dans les laboratoires à des fins agronomiques ou industrielles, peuvent-elles présenter un risque pour la santé des populations ou pour l'environnement ? Une réflexion d'autant plus nécessaire qu'il s'agit maintenant, pour les pays de l'après-Maastricht, d'harmoniser les droits nationaux avec les directives européennes émises en 1990 sur l'utilisation et la dissémination des organismes génétiquement modifiés (OGM). Et que les premières homologations de plantes « transgéniques » d'intérêt agro-alimentaire, de l'avis de tous les experts, sont désormais imminentes.

Polémique sur la brevetabilité du vivant

Lorsque avait été lancé le programme Génome humain, la communauté scientifique semblait unanime : les séquences d'ADN humain découvertes grâce à ce projet de recherche ne seraient pas brevetables, du moins tant que l'on ne connaîtrait ni leur fonction ni leur éventuelle utilité médicale. Très vite, cependant, le National Institute of Health (NIH) américain (qui supporte, aux États-Unis, l'essentiel du projet Génome) démontra qu'il en avait décidé autrement : en moins de deux ans, cette puissante agence gouvernementale a en effet déposé auprès de l'US Patent Office des demandes de dépôts de brevets portant sur près de 3 000 séquences génétiques humaines « partielles », soit, au total, près de 3 % du génome humain.